Sénat de Belgique
SESSION DE 2004-2005, 13 JANVIER 2005
Proposition de résolution relative à la politique en matière de non-prolifération et de désarmement nucléaire

DÉVELOPPEMENTS

Les armes nucléaires constituent une des menaces les plus sérieuses pour l'humanité. Afin de la conjurer, on a tenté de geler la situation par un traité de non-prolifération pour, ensuite, parvenir à une dénucléarisation complète en passant par un désarmement phasé. Les auteurs de la présente résolution estiment qu'un petit pays comme la Belgique peut jouer un rôle diplomatique à cet égard, comme en atteste le traité interdisant les mines antipersonnel.
En mai 2005 aura lieu à New York la NPT Review Conference, qui évaluera le respect du traité de non-prolifération et fixera les phases ultérieures de sa mise en œuvre.

Ces dernières années, le traité de non-prolifération s'est trouvé sérieusement ébranlé. Au cours de la décennie écoulée, l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord ont développé des armes nucléaires. L'Iran est vraisemblablement aussi entré dans la course à la bombe atomique, tandis qu'Israël la possède depuis déjà plus de 30 ans, en marge du TNP. De plus, on a découvert un réseau de trafic illégal de matériaux nucléaires. La crédibilité du traité est aussi entamée par la lenteur du désarmement nucléaire. Le risque est réel de voir certains pays tels que la Corée du Nord dénoncer le traité ou, du moins, cesser de le respecter.

C'est pourquoi il nous paraît nécessaire de réaffirmer l'importance du traité et des engagements qui en découlent pour nous. Pour assurer le maintien du traité, nous demandons au gouvernement de déployer des efforts diplomatiques dans le cadre de la conférence d'évaluation. Si l'on veut préserver la crédibilité du traité et maintenir la procédure d'évaluation qui va de pair, il faut parvenir à faire adopter un agenda de désarmement précis. Le traité de non-prolifération ne se suffit pas à lui-même et son renforcement est conditionné par la mise en œuvre, dans d'autres enceintes telles que l'OTAN et l'UE, d'une politique cohérente de désarmement et de non-prolifération.

Les considérants de la résolution se réfèrent au contexte international et aux accords conclus dans le cadre de la procédure d'évaluation contenue dans le traité de non-prolifération. Le Sénat réaffirme son attachement au traité et demande au gouvernement de contribuer à l'élaboration d'un agenda de désarmement plus strict lors de la prochaine conférence d'évaluation. Il est également demandé au gouvernement de mener une politique cohérente dans d'autres enceintes, telles que l'UE et l'OTAN, et plusieurs propositions concrètes sont formulées à cette fin. La résolution s'inscrit dans le prolongement de celle adoptée par la Chambre à propos de la conférence d'évaluation de 2000 et des engagements pris dans le cadre de l'accord de gouvernement.



PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,
A. considérant qu'en avril-mai 2005 aura lieu une nouvelle conférence d'évaluation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (Conférence d'examen du TNP);

B. considérant que, lors de la précédente conférence d'évaluation du traité sur la non-prolifération qui s'est tenue en 2000, le document final a été adopté à l'unanimité et que les mesures pratiques suivantes ont fait l'objet d'un accord :

1º l'importance et l'urgence de la signature et de la ratification, sans retard ni conditions et conformément aux processus constitutionnels, du Traité d'interdiction complète des essais, afin d'en assurer l'entrée en vigueur dans les meilleurs délais;

2º un moratoire sur les essais d'armes nucléaires, en attendant l'entrée en vigueur de ce traité;

3º la nécessité de négocier, à la Conférence du désarmement, un traité non discriminatoire, multilatéral et doté d'un régime de vérification international, traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d'armes nucléaires ou autres engins nucléaires explosifs. Ce traité doit être conforme à la déclaration du coordonnateur spécial pour 1995 et au mandat y inclus, compte tenu des objectifs en matière de désarmement nucléaire et de non-prolifération nucléaire. La Conférence du désarmement est instamment invitée à adopter un programme de travail qui inclue l'ouverture immédiate de négociations qui devraient pouvoir se conclure dans un délai de cinq ans;

4º la nécessité d'établir à la Conférence du désarmement un organe subsidiaire approprié qui devrait s'occuper des questions de désarmement nucléaire. La Conférence du désarmement est instamment invitée à rédiger un programme de travail qui inclue l'établissement immédiat d'un tel organe;

5º le principe de l'irréversibilité appliquée au désarmement nucléaire, ainsi qu'aux mesures de maîtrise et de réduction des armements dans le domaine nucléaire et dans d'autres domaines connexes;

6º l'engagement sans équivoque des États dotés d'armes nucléaires de procéder à l'élimination totale de leurs arsenaux nucléaires. Tous les États parties se sont engagés à cet égard en vertu de l'article VI;

7º l'entrée en vigueur rapide et la mise en œuvre intégrale de START II et la conclusion de START III le plus tôt possible; la préservation et le renforcement du Traité ABM, pierre angulaire de la stabilité stratégique et base de nouvelles réductions des armements offensifs stratégiques, conformément à ses dispositions;

8º l'achèvement et la mise en œuvre de l'initiative trilatérale des États-Unis d'Amérique, de la Fédération de Russie et de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA);

9º des mesures à prendre par tous les États dotés d'armes nucléaires pour parvenir au désarmement nucléaire, qui favorise la stabilité internationale et repose sur le principe consistant dans le maintien d'un même niveau de sécurité pour tous :

i. de nouveaux efforts pour réduire unilatéralement leurs arsenaux nucléaires;

ii. une transparence accrue en ce qui concerne leurs capacités en armes nucléaires et la mise en œuvre d'accords conclus en vertu de l'article VI et en tant que mesure de confiance volontaire à l'appui de nouveaux progrès dans le domaine du désarmement nucléaire;

iii. une nouvelle réduction, sur la base d'initiatives unilatérales, des armes nucléaires non stratégiques qui font partie intégrante du processus de réduction des armements et de désarmement nucléaires;

iv. des mesures concrètes agréées pour réduire encore le statut opérationnel des systèmes d'armes nucléaires;

v. une diminution du rôle des armes nucléaires afin de réduire à un minimum le risque de voir jamais employer ces armes, et de faciliter le processus devant conduire à leur élimination totale;

vi. un engagement, aussi tôt que possible, dans le processus conduisant à l'élimination totale de leurs armes nucléaires;

10º dès que possible, placer les matières fissiles désignées comme n'étant plus requises à des fins militaires sous un régime de vérification internationale approprié (AIEA ou autre), et régler le stockage de ces matières à des fins pacifiques, de manière à garantir que celles-ci restent en permanence en dehors de programmes militaires;

11º la réaffirmation de l'objectif ultime des efforts des États dans le cadre du processus de désarmement, en l'occurrence, le désarmement général et complet sous un contrôle international efficace;

12º l'établissement de rapports réguliers, dans le cadre du processus renforcé d'examen du TNP, par tous les États parties sur l'application des dispositions de l'article VI et du paragraphe 4(c) de la décision de 1995 concernant les « principes et objectifs de la non-prolifération et du désarmement nucléaires », et le rappel de l'avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996;

13º la poursuite du développement des capacités de vérification, afin d'assurer le respect des accords de désarmement nucléaire, en vue de créer un monde exempt d'armes nucléaires;

C. considérant que la mise en œuvre du traité de non-prolifération et des mesures convenues durant la conférence d'évaluation tenue en 2000, se sont avérées insatisfaisantes pendant ces dernières années;

D. considérant que la pérennité du traité de non-prolifération et son strict respect sont indispensables pour la paix et la sécurité internationales;

E. Considérant que l'Inde, le Pakistan et Israël n'ont pas signé le traité de non-prolifération et que ces pays ont développé des armes nucléaires; que la Corée du Nord s'est retirée du traité de non-prolifération et que ce pays a développé des armes nucléaires; que l'Iran est sans doute en train de mettre au point des armes nucléaires, manquant ainsi à ses obligations de déclaration et de vérification;

F. considérant qu'un réseau de trafic illégal de matériaux nucléaires, dirigé par le Pakistanais Abdul Qadeer Khan, a été mis au jour;

G. considérant que le directeur général de l'AIEA, M. El-Baradei, affirme que des mesures plus radicales de non-prolifération et de désarmement nucléaire sont nécessaires pour préserver le traité de non-prolifération; qu'il propose à cet effet des mesures visant à renforcer la vérification et le contrôle de l'énergie nucléaire civile et à lutter contre le trafic illégal de matériaux nucléaires, d'une part, ainsi qu'un plan de désarmement nucléaire en plusieurs phases, d'autre part; qu'il déclare à cet égard : « We must abandon the unworkable notion that it is morally reprehensible for some countries to pursue weapons of mass destruction yet morally acceptable for others to rely on them for security — and indeed to continue to refine their capacities and postulate plans for their use »;

H. considérant que l'article 6 du traité de non-prolifération dispose que « Chacune des parties au traité s'engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace »;

I. considérant que, dans son avis du 8 juillet 1996, la Cour internationale de Justice constate qu'il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à bien des négociations en vue d'un désarmement nucléaire dans tous ses aspects sous un contrôle international strict et efficace;

J. considérant la résolution de la Chambre du 18 mai 2000 relative au désarmement nucléaire et à l'attitude à adopter par la Belgique au sein de la conférence d'évaluation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires;

K. considérant que l'accord de gouvernement présente comme l'une des lignes de forces de sa politique en ce qui concerne l'OTAN : « la diminution du nombre d'armes nucléaires; l'OTAN peut y contribuer en ne faisant plus stationner d'armes nucléaires sur le territoire des nouveaux États membres de l'OTAN et en poursuivant le démantèlement de l'arsenal nucléaire dans les actuels États membres de l'OTAN; le Gouvernement plaidera au sein de l'OTAN en faveur d'une plus grande transparence en matière de stratégie nucléaire »;

L. considérant que des résultats ne pourront être engrangés, lors de la conférence d'évaluation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 2005, que si une politique cohérente est menée en matière de non-prolifération et de démantèlement de l'arsenal nucléaire dans les différentes enceintes où ces questions sont abordées;

M. confirmant son attachement au traité de non-prolifération;


DEMANDE AU GOUVERNEMENT :

1. de consentir tous les efforts pour maintenir le traité de non-prolifération et pour en assurer le respect dans tous ses aspects;

2. d'inciter la conférence d'évaluation du traité de non-prolifération de 2005 à arrêter un calendrier de désarmement plus strict et à conclure des accords concrets pour les cinq prochaines années;

3. d'établir un plan d'action en faveur du désarmement nucléaire et de la non-prolifération, concernant les efforts à fournir dans les divers forums internationaux;

4. de veiller à ce que les initiatives en faveur de la non-prolifération comprennent également une nette composante consacrée au désarmement;

5. de veiller à ce que des mesures pratiques soient prises, au sein de l'OTAN, en faveur du désarmement nucléaire, et ce, conformément aux accords conclus lors de la conférence d'évaluation du traité de non-prolifération de 2000;

6. de faire examiner, dans le cadre de l'OTAN, des initiatives concernant :
6.1. la révision des doctrines stratégiques en matière d'armes nucléaires;
6.2. le retrait d'Europe des armes nucléaires tactiques américaines en vue du respect de l'article VI du traité de non-prolifération;
6.3. l'application du principe d'irréversibilité en rendant juridiquement contraignante l'absence d'armes nucléaires dans les nouveaux États membres de l'OTAN;
6.4. la création d'une zone dénucléarisée comprenant tous les États européens non dotés de l'arme nucléaire;
6.5. l'augmentation de la transparence;

7. au sein de l'UE :
7.1. de soutenir la politique de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de participer activement à son élaboration, notamment en mettant sur le tapis la question du désarmement nucléaire et des armes de destruction massive présentes en Europe et en mettant à exécution aussi rapidement que possible les mesures proposées relatives à la lutte contre le trafic de matériaux nucléaires et aux détenteurs probables d'armes nucléaires;
7.2. de prendre des initiatives en vue d'empêcher que des armes nucléaires puissent jouer un rôle quelconque dans la politique de sécurité et de défense commune;

8. de soutenir, non seulement pendant la préparation de la conférence d'évaluation du traité sur la non-prolifération qui se tiendra en 2005, mais aussi durant ladite conférence, des initiatives visant :
8.1. au renforcement du traité d'interdiction des essais nucléaires (Comprehensive Test Ban Treaty — CTBT) ainsi qu'à sa ratification;
8.2. à la négociation d'un traité interdisant la poursuite de la production de matière fissile pour armes nucléaires;
8.3. à la révision des doctrines stratégiques;
8.4. à l'adoption de mesures intermédiaires visant à éviter la mise à feu accidentelle d'armes nucléaires;
8.5. à la vérification, à la transparence et à l'adoption de mesures propres à créer un climat de confiance;
8.6. à la création de zones dénucléarisées;
8.7. à l'insertion des garanties négatives en matière de sécurité dans un instrument juridique contraignant;
8.8. à la lutte contre le trafic illégal de matériaux nucléaires;

9. de soutenir, voire de prendre lui-même, au sein d'autres organisations multilatérales, des initiatives en matière de non-prolifération et de désarmement nucléaire.

17 décembre 2004.

Patrik VANKRUNKELSVEN, Lionel VANDENBERGHE, Pierre GALAND, Sabine de BETHUNE, Christian BROTCORNE, Annemie VAN de CASTEELE, Philippe MAHOUX

Forum Nord Sud > 115 rue Stévin – 1000 Bruxelles – Tél. / Fax : 00 32 (0)2 231 01 74 – forum.nord.sud@skynet.be