Demande d’explications au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sur «la participation de la Belgique à la réforme des Nations unies» (n° 3-332),
1er juillet 2004


M. le président – Mme Frédérique Ries, secrétaire d’État aux Affaires européennes et aux Affaires étrangères, adjointe au ministre des Affaires étrangères, répondra au nom de M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères.

M. Pierre Galand (PS) – Les Nations unies ont eu, par le passé, un rôle déterminant à jouer durant l’après-guerre mondiale, d’une part, pour assurer les arbitrages en matière de sécurité et, d’autre part, pour conduire les processus de décolonisation à leur terme, ou presque – il en reste encore quelques-uns.

C’est également l’ONU qui a piloté le développement en matière de conception et d’agencement, au travers d’un ensemble d’organisations spécialisées et grâce également à leur coordination au sein du PNUD – Programme des Nations unies pour le Développement. Cette période marquée par le multilatéralisme fut génératrice d’un effort normatif des relations internationales qui s’est traduit tant en droit international que sous la forme d’institutions internationales dont le plus récent fleuron est la Cour pénale internationale.

Cet ensemble paraissait être un «grand machin», comme le qualifia Charles de Gaulle, mais il eut le mérite de servir la sécurité et la coopération internationale durant une trentaine d’années. L’ONU offrait ainsi l’image réelle de porte-parole du «faible au fort» au sein de la communauté internationale. En quelques années, cette image s’est brouillée pour deux motifs. Le premier, lorsque les Etats-Unis ont décidé de modifier unilatéralement les accords de Bretton Woods fondant les institutions financières internationales pour leur conférer un rôle de gendarme de la nouvelle orthodoxie financière internationale ultra-libérale. Les nouvelles politiques économiques, notamment les politiques d’ajustements structurels, ont pourfendu les théories du développement et inféodé les organismes spécialisés des Nations unies aux visées des nouvelles théories de croissance. En bref, le PNUD a été driblé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

Le second motif résulte du rôle que le G7, devenu entre-temps le G8, exerce comme lieu informel de régulation et d’orientation de l’économie mondiale. Cette régulation s’est essentiellement orientée vers la mise en cause du compromis social de l’après-guerre dans les pays du Nord et sur la reconquête du contrôle des économies des pays décolonisés du Sud. Les Etats-Unis y exercent leur leadership avec la complicité des institutions financières internationales où ils ont le poids le plus déterminant.

Plus récemment, les États-Unis ont décidé de souscrire aux Nations unies "à la carte". Par conséquent, les Nations unies ont abandonné leur rôle de porte-parole du faible au fort pour devenir l’allié du fort auprès des faibles.

Tout d’abord, ne faut-il pas réinventer les Nations unies ou, du moins, opérer une transformation profonde de l’institution pour la réhabiliter dans ses rôles de défenderesse des intérêts communs de l’humanité et de protectrice des droits des peuples et de la démocratie planétaire ? Pensez-vous que les États accepteront ces changements et quelles sont vos propositions en la matière ?

Ensuite, votre ministère poursuit sa campagne pour l’élection de la Belgique à un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour la période 2007-2008. De ce fait, n’est-il pas urgent d’initier un débat préparatoire sur la participation de notre pays ?

En outre, ne pensez-vous pas qu’il serait aussi nécessaire d’initier un autre débat avec le parlement et la société civile afin de préparer des propositions que supporterait la Belgique durant sa participation au Conseil de sécurité ?

Enfin, et toujours à propos des Nations unies, je souhaiterais poser quatre dernières questions.

1. Comment pouvons-nous reprendre les préoccupations déjà avancées par Jacques Delors à l’occasion du 50e anniversaire des Nations unies et qui propose de remettre les préoccupations sociales au cœur des priorités de la communauté internationale ?

2. Comment pensez-vous associer notre pays à la réhabilitation du multilatéralisme qui permettra l’expression des préoccupations de la majorité des peuples de la planète et non celles de la minorité ?

3. Comment rendre aux diverses institutions spécialisées des Nations unies leur rôle d’indicateurs des graves dangers qui résultent des dogmes économicistes et de la financiarisation de l’économie imposés par le G7 et les institutions financières internationales ?

4. Enfin, comment la Belgique peut-elle contribuer à engager le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies à reprendre les négociations relatives au désarmement tant classique que bactériologique, chimique, nucléaire et spatial ?

Mme Frédérique Ries, secrétaire d’État aux Affaires européennes et aux Affaires étrangères, adjointe au ministre des Affaires étrangères – En l’absence du ministre des Affaires étrangères dont je vous prie d’excuser l’absence, voici quelques éléments de réponse à ces vastes questions, dans l’attente d’un véritable débat. Je partage en effet les attentes de M. Galand à propos d’un débat sur cette question cruciale.

Depuis la Déclaration du Millénaire qui a été adoptée par les chefs d’État et de gouvernement en l’an 2000, la réforme et le renforcement des Nations unies sont plus que jamais à l’ordre du jour de la communauté internationale. Fin 2003, le secrétaire général des Nations unies a lancé lui-même un projet ambitieux en la matière en créant le panel de haut niveau sur les menaces, défis et changements. Constitué de personnalités éminentes ayant une large expérience des Nations unies, ce panel devra faire des recommandations sur la réponse collective et le rôle des Nations unies face à ces menaces et défis, tant en matière de paix et de sécurité que de problèmes économiques et sociaux.

Lors de sa visite officielle à Bruxelles au début de cette année, Kofi Annan a insisté sur le fait qu’il espérait que les recommandations de ce panel seraient audacieuses. Je partage entièrement cette façon de voir. Cependant, les Nations unies sont composées de 192 membres et tous n’ont pas la même vision de ce que pourrait être une réforme audacieuse de l’institution. Sur base des travaux de ce panel, le secrétaire général soumettra, début 2005, ses propres recommandations à l’Assemblée générale. Un Sommet est prévu à l’automne 2005, qui fera le point sur la mise en œuvre de la Déclaration du Millénaire. La Belgique est, avec d’autres États, à l’origine de cette initiative. Ce Sommet devra donc traiter, non seulement de la mise en œuvre des engagements du Millénaire en matière de développement mais aussi de la suite à réserver aux recommandations du panel et du secrétaire général. C’est en tout cas la position que la Belgique a défendue est qui est partagée par l’Union européenne.

L’Union européenne a fourni, elle aussi, une contribution commune à la réflexion du panel. Elle traite non seulement des efforts de l’Union pour réduire la pauvreté au niveau mondial, mais aussi de sujets variés qui concernent directement le rôle que nous souhaitons voir jouer aux Nations unies. Je citerai entre autres la gestion intégrée des crises, les opérations de maintien de la paix, le droit d’ingérence humanitaire ou, en d’autres termes, la responsabilité de protéger, ainsi que l’usage préventif de la force.

Dans les discussions préparatoires à cette contribution, la Belgique a défendu fermement le respect de la charte et le rôle du Conseil de sécurité comme garant de la légalité de toute intervention militaire autre que celle justifiée par la légitime défense. Elle s’est aussi très clairement exprimée en faveur d’une révision de la composition du Conseil de sécurité pour l’adapter aux réalités contemporaines et lui rendre la légitimité nécessaire. Elle a aussi plaidé pour une refonte assez radicale du Conseil économique et social afin qu’il puisse enfin –c’était une proposition tout à fait précise de la Belgique et de Louis Michel– exercer avec l’autorité nécessaire le rôle de garant de la cohérence du système des Nations unies dans le secteur économique et social que la charte lui confie. Comme vous le mentionnez, la Belgique siégera au Conseil de sécurité en 2007 et 2008. Nous ne manquerons pas d’initier en temps utile les débats nécessaires sur notre politique au sein du conseil en gardant toutefois à l’esprit que son ordre du jour est largement déterminé par l’actualité.

Voici mes réponses à vos quatre questions :

1. La Déclaration du Millénaire replace le social au cœur même des priorités de la communauté internationale : la réduction des disparités entre riches et pauvres en est le fil conducteur.

2. La Belgique réaffirme en permanence et avec conviction son attachement et son soutien au multilatéralisme. La déclaration gouvernementale est très claire à ce sujet. Nos positions sur la prééminence du Conseil de sécurité dans la gestion de crises le sont tout autant. L’Union européenne a adopté une stratégie de sécurité qui prône un multilatéralisme efficace, des relations internationales fondées sur le droit et ayant pour centre les Nations unies. La Belgique a entièrement souscrit à cette stratégie. Elle a joué un rôle très actif dans les dialogues que l’Union européenne a menés depuis l’adoption de cette stratégie avec d’autres groupes régionaux pour relancer la dynamique multilatérale.

3. On constate depuis quelques années un rapprochement entre les politiques de développement du système des Nations unies à proprement parler et des institutions de Bretton Woods. Il me semble que les agences spécialisées jouent parfaitement le rôle d’indicateur que vous suggérez : il suffit de constater le degré de conscientisation sur les problèmes liés au sida obtenu par les actions de l’OMS ou d’ONUSIDA, ou encore le récent rapport de la Commission sur la dimension sociale de la mondialisation, publié à l’initiative du directeur général de l’Organisation internationale du travail.

4. A la suite des développements inquiétants dans le domaine de la non-prolifération en Corée du Nord et en Iran, ainsi que de la découverte d’un réseau clandestin de commerce d’armes de destruction massive qui avait alimenté le programme nucléaire de la Libye, la communauté internationale se voit obligée de développer une politique cohérente, globale et efficace en matière de non-prolifération et de désarmement. La Belgique y contribue activement.Dans le contexte du Traité de non-prolifération (TNP), pierre angulaire de notre politique de sécurité nucléaire, la Belgique a introduit en mai 2004 une proposition conjointe avec les Pays-Bas et la Norvège visant à actualiser les engagements internationaux dans les domaines de la non-prolifération nucléaire. Parmi ces engagements, se situent, par exemple, l’universalisation de ce traité, des inspections renforcées, l’entrée en vigueur du traité sur l’interdiction des essais nucléaires, l’arrêt de la production de matériel fissile pour la production d’armes nucléaires, le désarmement nucléaire, notamment grâce à l’appel à la réduction et l’élimination d’armes nucléaires tactiques par le biais de négociations urgentes entre les pays concernés ou encore l’irréversibilité du désarmement nucléaire.

La Belgique entend défendre cette proposition lors de la prochaine conférence de suivi du Traité de non-prolifération en 2005. Dans le contexte de la conférence de désarmement à Genève, qui est bloquée depuis plusieurs années à cause d’un désaccord sur l’ordre du jour, et pour sortir de l’impasse, la Belgique a introduit en 2003, conjointement avec la Suède, l’Algérie, la Colombie et le Chili, une proposition d’agenda de compromis. Notre texte propose un mandat de discussion sur le désarmement nucléaire, un mandat de négociation sur le traité d’arrêt de production de matériel fissile pour l’usage militaire ainsi qu’un mandat de pourparlers préalables à des négociations sur la prévention de la militarisation de l’espace. Cette proposition a déjà fait prendre conscience aux pays membres de la Conférence de désarmement de ce que le blocage actuel est contreproductif en ce qu’il retarde des prises de décision urgentes et essentielles dans le domaine de la non-prolifération.

Les États, parties aux conventions relatives à l’interdiction des armes chimiques, des armes bactériologiques ou de certaines armes conventionnelles, se réunissent annuellement. Ils continuent leurs négociations sur la base de mandats agréés. La Belgique et l’Union européenne s’efforcent de promouvoir l’universalisation de ces conventions à travers des démarches régulières dans les capitales concernées.

Dans le domaine du commerce illicite d’armes légères et de petit calibre, la Belgique contribue également aux efforts pour faire avancer le plan d’action des Nations unies qui a été adopté en 2001. Nous avons présenté aux Nations unies les nouvelles mesures législatives, couvrant à la fois le commerce et le courtage, que notre parlement a adoptées en 2003. Plusieurs pays y ont fait référence en les citant comme un exemple pouvant inspirer la communauté internationale. Cette année encore, j’ajouterai que nous avons participé à la réunion d’experts des Nations unies sur le marquage et le traçage des petites armes où nous avons expliqué la pratique belge. Là aussi, notre expertise a été appréciée.Je pourrais également me référer à la politique active de notre pays, internationalement reconnue, en matière de lutte contre les mines antipersonnel. Ce tableau, quoique déjà assez long, reste néanmoins succinct par rapport à l’ampleur de la question. Nécessairement incomplet, il illustre toutefois de façon très concrète notre attachement à un multilatéralisme efficace, pierre angulaire du système des Nations unies.

M. Pierre Galand (PS) – Je voudrais remercier Mme la secrétaire d’État de la réponse détaillée à la question qui contenait effectivement tout un programme. J’espère que nous pourrons avoir un débat bien plus approfondi sur ce thème. Je sais que la Commission des Affaires étrangères a décidé de se saisir dès la rentrée de la question de la réforme des Nations unies. Peut-être pourrons-nous, à cette occasion, recevoir Mme la secrétaire d’État ? Par ailleurs, en préparation de la réunion de janvier 2005, la commission sur la mondialisation abordera le thème des objectifs du Millenium, dès septembre. Ce sera pour le parlement l’occasion d’être mieux informé et de contribuer à encadrer la politique de la Belgique.
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