Demande d’explications de M. Pierre Galand au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sur «le réchauffement des rapports belgo-israéliens» (n° 3-277)


M. Pierre Galand (PS) – En septembre 2003, l’ancien secrétaire d’État aux Affaires européennes, M. Jacques Simonet, représentait le gouvernement belge en Israël aux festivités du 80e anniversaire de M. Shimon Peres. Vous étiez vous-même en visite en Israël en février dernier et Mme Frédérique Ries, la nouvelle Secrétaire d’État aux Affaires européennes, était présente début mai à Jérusalem pour y représenter la Belgique à la remise du Prix Wolf de Physique.

Voici un mois, nous nous sommes rendus à Rafah, à Gaza et en Cisjordanie. Ce qui nous a le plus frappés est la manière dont Israël, son gouvernement et ses stratèges militaires sont parvenus à compartimenter et à découper la Palestine, à emmurer et à isoler les Palestiniens et à couper la population de son autorité.

Permettez-moi de mettre en doute votre politique d’équidistance à l’égard du conflit israélo-palestinien. Je constate en effet qu’en moins d’un an, trois représentants du Service Fédéral des Affaires étrangères se sont rendus uniquement en Israël. Pourriez-vous m’indiquer le nombre de délégations officielles qui ont rencontré, pendant la même période, des hauts responsables palestiniens? Quel ont été les contacts avec l’Autorité palestinienne?

Si je me réfère à vos nombreuses déclarations, la Belgique, en tant que membre de l’Union européenne, soutient les efforts déployés dans le cadre du Quartette. Ces efforts, concentrés dans la feuille de route, consacrent la reconnaissance de l’Autorité palestinienne.

Une délégation belge se rendra-t-elle prochainement dans les territoires palestiniens, non pas pour réchauffer mais pour consolider les rapports entre la Belgique et l’Autorité palestinienne et donner toutes ses chances à la mise en œuvre de la feuille de route? Je ne sais si vous avez déjà reçu le rapport de notre mission en Palestine. Si ce n’est le cas, je me fais un plaisir de vous le remettre.
De heer Pierre Galand (PS)

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères – Cher collègue, vous semblez suggérer que je laisse tomber mes amis palestiniens. Rien n’est moins vrai ! Pour mettre à profit le climat de confiance qui a toujours caractérisé les relations entre la Belgique et les Palestiniens, j’ai fait remettre le matin du 4 mai une lettre au président Arafat dans laquelle j’évoquais les éléments suivants.

Le conflit en cours a causé des souffrances intolérables des deux côtés et nous avons l’obligation morale d’y mettre fin. L’absence de dialogue a conduit à des mesures unilatérales. D’autres suivront, exacerbant et polarisant les attitudes à moins que, avec l’aide de la communauté internationale, l’Autorité palestinienne ne décide de passer à l’action pour rompre ce cercle vicieux et les circonstances s’y prêtent.

L’Autorité palestinienne, son président et son premier ministre devraient démontrer qu’ils sont en mesure de reprendre les choses en main sur le terrain. La sécurité est le seul élément susceptible de modifier l’attitude d’Israël. On le sait ! La Palestine a besoin d’une direction forte et décidée capable d’imposer un cessez-le-feu sans lequel personne ne lui viendra en aide à Gaza. Nous sommes disposés à vous accorder l’aide voulue si l’Autorité palestinienne décidait de faire siens ces objectifs.

Le 6 mai une réponse substantielle fut remise à notre représentant auprès de l’autorité palestinienne. Certaines précisions ont fait, en outre, l’objet d’une mise au point orale. Le contenu de cette lettre reprenait point par point l’analyse et les conclusions contenues dans la mienne et peut être résumée ainsi.

La violence ne fait qu’engendrer la violence et aider ceux qui, de part et d’autre, sont opposés à la solution des deux États. L’engagement de l’Autorité palestinienne sur la "feuille de route" reste entier, y compris pour les aspects de sécurité.

Cette Autorité s’engage à continuer à déployer tous ses efforts pour empêcher toute attaque contre des civils. Il sera cependant nécessaire de l’aider à reconstituer ses forces de sécurité. M. Arafat est disposé à reprendre immédiatement les négociations et la coopération en matière de sécurité de manière bilatérale ou avec l’aide d’un tiers. L’Autorité palestinienne vient avec l’assistance britannique et arabe de mettre sur pied des centres d’opérations de sécurité en Cisjordanie et à Gaza.

Elle est prête, avec l’aide du « quartette », à reconstituer ses forces et à les redéployer en vue du maintien de l’ordre et de la légalité. Elle continuera à mettre en œuvre les réformes et à créer les institutions nécessaires à la construction d’un État palestinien.

L’Autorité palestinienne souhaite sincèrement transformer le retrait de Gaza en une étape de la "feuille de route" et appelle l’Union européenne et le « quartette » à fournir des observateurs en vue de la mise en œuvre de cette "feuille". Enfin, M. Yasser Arafat rappelle son engagement complet sur tous les points mentionnés dans la lettre que nous lui avions envoyée.

Le chef négociateur M. Saëb Erakat a fourni certains détails sur le plan de sécurité mentionné dans la lettre du président Arafat. Dans un premier temps 400 hommes seraient transférés de Salfit à Jéricho pour y être debriefés, reselectionnés, réentraînés et rééquipés. Bien entendu l’accord d’Israël sera requis. La même procédure sera appliquée aux troupes de Naplouse, de Ramallah et Betléhem.

Ensuite, les hommes seront casernés là où le besoin est le plus grand. Salfit et Naplouse sont des points chauds mais il y a également des problèmes à Djénine et Tulkarem. Un centre d’opération vient d’être achevé à Ramallah, celui de Gaza n’étant pas encore prêt.

Cette échange de lettres n’est qu’un exemple de mes contacts avec les Palestiniens. Avant de me rendre en Israël, j’ai téléphoné longuement à mon homologue palestinien pour lui expliquer ma position. Il la comprend parfaitement. Je tiens aussi à rappeler que notre premier ministre a eu un entretien avec Abou Alaa le 18 février dernier à Bruxelles. Je me rendrai probablement avant les vacances, au début du mois de juillet, dans les territoires occupés. Les Palestiniens le savent et ils m’attendent.

De heer Louis Michel, vice-eerste minister en minister van Buitenlandse Zaken - Je voudrais aussi ajouter d’autres éléments importants, sur lesquels il ne faut pas braquer les feux de l’actualité sous peine d’avoir peu de chances de voir progresser ces idées. Je voudrais tout d’abord rappeler que, lors de la réunion informelle du Conseil européen à Dublin, j’ai sans doute été celui qui a dénoncé avec le plus de vigueur l’accord Bush-Sharon, lequel faisait référence, pour ce qui concerne les territoires, à la situation de 1949, sans reconnaître l’acquis de 1967 concernant les territoires occupés.

J’ai aussi posé une série de questions sur les garanties du retrait de Gaza. Quelles sont les compensations économiques ? Comment procéder et suivant quelles modalités les retraits seront-ils organisés ? Comment permettre aux Palestiniens de gérer Gaza sans en faire une poudrière ? J’ai aussi dit que, même si l’on sait parfaitement – vous, moi, les Palestiniens et les Israéliens – que la question des réfugiés ne sera jamais réglée comme le droit international le plus élémentaire l’exigerait, on considérait comme un principe intangible le droit au retour des réfugiés dans leur pays.

Or, dans l’accord Bush-Sharaon, on avait manifestement l’impression que cette question était réalisée sur base d’une sorte d’acceptation en coulisses. Les Palestiniens savent qu’ils n’obtiendront pas totalement satisfaction sur cette question, mais il n’appartenait ni à Bush ni à Sharon de le dire à leur place.

Premier élément. Je suis intervenu au Conseil européen pour durcir le communiqué. Je pense d’ailleurs que, sans mon intervention, laquelle a été d’ailleurs soutenue par la présidence irlandaise, ce communiqué aurait été assez banal et classique. Mais, en l’absence de l’autre partie, cet accord pose effectivement problème.

J’ajoute que ce dernier a affaibli la « feuille de route » et le « quartette », dans une certaine mesure, car la référence à 1949 plutôt qu’à 1967 est un pas en arrière. Il est vrai que le président Bush a rectifié le tir ; d’autres explications ont été avancées et on a donné une autre lecture.

Deuxième élément. J’ai rencontre M. Colin Powell assez longuement. L’entretien a été très positif et instructif. J’ai également rencontré Mme Condoleezza Rice ainsi que le sous-secrétaire d’État Marc Grossman, et nous avons chaque fois abordé ces questions.

J’ai confirmé que je considérais comme extrêmement dangereux de vouloir à tout prix mettre le président Arafat sur une voie de garage. Je pense sincèrement que, s’il est vrai que le président Arafat doit donner du crédit à son premier ministre, il est aussi vrai que le plus grand crédit que ce premier ministre pourrait recevoir vient de l’extérieur. Israël est évidemment en position de donner du crédit au premier ministre palestinien, de même que les États-Unis et la communauté internationale. J’ai également confirmé cette position au représentant du US committee qui avait demandé à me rencontrer.

Troisième élément, pendant mon séjour aux États-Unis, j’ai eu un entretien téléphonique avec le secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa. Comme vous le savez, j’ai défendu l’idée suivante au niveau de l’Union européenne, mais aussi auprès de M. Javier Solana et dans plusieurs milieux : si on veut vraiment créer une nouvelle dynamique et dégeler,dans une certaine mesure, les concepts du « quartette » et de la « feuille de route », je pense qu’il faut trouver un élément nouveau qui puisse frapper les esprits, tant israéliens que palestiniens et arabes.

La proposition que j’ai faite – et je pense que l’idée fait son chemin – est de faire entrer la Ligue arabe dans le « quartette » et donc de l’élargir. Cela aurait un double avantage parce que le rapport de forces serait manifestement rééquilibré au sein de la négociation, à la fois dans les faits et dans le symbole. Cela donne une garantie aux Palestiniens mais, plus fort que cela, c’est de nature à frapper positivement les esprits israéliens.

Tout accord de paix qui serait aussi endossé par la Ligue arabe permettrait, évidemment, d’être plus crédible et de rassurer dans une certaine mesure – je travaille d’ailleurs actuellement sur des propositions qui avaient été faites à l’époque à ce sujet – mais, pour cela, il faut des relations au moins normales avec ceux dont dépend la bonne fin d’une telle initiative.

Nous avons normalisé nos relations avec Israël mais cela ne nous empêche pas de critiquer et de condamner régulièrement son comportement lorsque celui-ci est critiquable. Ma position n’a absolument pas changé.

Je peux concéder, monsieur Galand, qu’extérieurement la tonalité était peut-être un peu différente. Pour des raisons d’efficacité, il n’est pas utile d’avoir des propos provocants. Ce que je souhaite, c’est que l’on puisse faire avancer l’idée d’impliquer la Ligue arabe dans le processus si aucun élément nouveau ne vient perturber l’inertie de ce dernier, parce que vous savez, comme moi, qu’en politique, la pire énergie est celle de l’inertie.

Je me rendrai dans les territoires palestiniens parce que je l’ai promis et parce qu’il est important qu’il n’y ait pas de malentendu. Je suis en contact quasi hebdomadaire avec Nabil Chaath, notamment. Je n’ai donc absolument pas l’intention de relâcher, ni mon attention, ni ma proximité à l’égard de cette question.

M. Pierre Galand (PS) – Je remercie le ministre pour l’ensemble des informations qu’il nous a transmises et qui vont dans le sens de nos préoccupations.

Ayant eu l’occasion d’observer, sur place, la manière dont on a isolé et coupé l’Autorité palestinienne des populations palestiniennes, je comprends qu’il soit très difficile que cette Autorité puisse exercer ses devoirs et ses obligations en matière de maintien de la sécurité.

Je voudrais que l’on ne taxe pas de violences tous les actes commis par les populations palestiniennes qui sont aussi amenées à poser des actes de résistance contre un occupant dans des territoires qui ne sont pas occupés de fait.

Dans le cas de Rafat et de la violence exprimée par l’État hébreu avec la mort de 13 soldats, il s’agissait de forces occupantes et il faut reconnaître au peuple palestinien, son droit à la résistance et à l’autodétermination. Même si je suis non-violent et donc attaché à la non-violence, je considère qu’il faut distinguer l’acte de violence de l’acte de résistance. Dans le cas de Rafat, il s’agissait bien d’un acte de résistance.
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