Demande d’explications de M. Pierre GALAND au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sur «la diplomatie préventive»
11 mars 2004

M. Pierre Galand (PS) – Monsieur le ministre, vous connaissez l’importance que j’accorde à la prévention des conflits dans la politique étrangère menée par notre gouvernement. Depuis quelques années, un budget est tout spécialement alloué à cette problématique. La responsabilité de la gestion de ce budget est, dans cette législature, entièrement sous votre responsabilité.
Ma question est concrète: pourriez-vous nous dresser un bilan de l’utilisation du budget attribué au sein de votre ministère à la prévention des conflits? Quels critères utilisez-vous pour décider de l’attribution d’une partie de ce budget à un projet? Quel est le montant de ce budget et comment est-il utilisé ? Y a-t-il des thématiques de subdivision dans ce budget?
Par ailleurs, avez-vous procédé à une évaluation de l’utilisation de ce budget sous la précédente législature lorsqu’elle relevait encore principalement des compétences du secrétaire d’État à la Coopération au Développement ? La prévention des conflits est aujourd’hui un enjeu important, beaucoup d’organismes internationaux s’y intéressent. Existe-t-il une collaboration de vos services avec d’autres pays ou avec des organismes internationaux en vue d’une meilleure cohérence en matière de prévention des conflits ?

Mme Anne-Marie Lizin (PS) – Monsieur le ministre, vous connaissez l’importance que nous attachons à l’assemblée parlementaire de l’OSCE. Parmi les thèmes que cette assemblée souhaite aborder dans les prochains mois se trouve la perspective d’une pacification en Moldavie. Ce pays, tout comme Chypre, pourrait bénéficier d’un système quasi fédéral. Dans le cadre du budget disponible pour la prévention des conflits, accepteriez-vous que l’assemblée parlementaire de l’OSCE puisse tenir en Belgique un séminaire sur l’avenir de la Moldavie ? Ce séminaire est considéré comme utile par la plupart des grands pays qui suivent le processus de paix en Moldavie, dont les États-Unis. Il serait intéressant que ce séminaire puisse être organisé en Belgique et, si vous le voulez bien, sous vos auspices.

Mme Sabine de Bethune (CD&V) – Depuis cette législature, la ligne budgétaire du Service public fédéral Affaires étrangères consacrée à la prévention des conflits, à la construction de la paix et aux droits de l’homme relève totalement de la responsabilité du ministre.

J’aimerais obtenir une réponse aux questions suivantes :
1. Combien a-t-on dépensé dans ce domaine en 2003 ?
2. À combien s’élève le budget pour 2004 ?
3. Le ministre pourrait-il ventiler le budget et nous dire à quels projets et à quelles organisations cet argent est effectivement affecté ?
4. Quels sont les critères de sélection des projets ?
5. Une part du budget est-elle consacrée aux projets émanant de votre administration ? Dans l’affirmative, pour quel montant et quelle est la part consacrée aux projets extérieurs à votre administration ?
6. Cette ligne budgétaire est-elle prise en compte dans le budget de la coopération au développement ? Cette précision est importante dans le cadre des 0,7% du PIB que nous voulons atteindre dans dix ans.

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères – Je suis très heureux de constater l’importance accordée à la prévention des conflits dans la politique étrangère de notre pays. Comme vous le savez, au cours de la précédente législature déjà, la diplomatie préventive a été un axe prioritaire que j’ai développé, et les évolutions que nous constations aujourd’hui, en Afrique centrale notamment, sont le résultat des efforts que notre pays a développés soit directement soit en inscrivant les crises et les conflits de la région des Grands Lacs à l’agenda de l’Union européenne et des Nations unies. Les lignes budgétaires « diplomatie préventive » et « prévention des conflits, reconstruction de la paix et droits de l’homme » ont été regroupées sous mon autorité pendant cette législature.
En matière de politique étrangère, il y a en effet lieu de pouvoir joindre les actes aux paroles et de pouvoir réagir rapidement et de manière appropriée à une situation d’instabilité sur la scène internationale. Notre objectif est clair : optimaliser les compétences des acteurs politiques, humanitaires, académiques et socio-économiques dans le respect des mandats de chacun. Nous nous appuyons à cet égard sur les organismes internationaux, les ONG, les réseaux de la société civile, les syndicats ainsi que sur de nombreux opérateurs spécialisés aussi bien chez nous que dans les pays où nous intervenons.
En matière de choix stratégiques, je citerai les trois principaux : paix et sécurité ; droit international et politique éthique internationale; renforcement des institutions et développement de la société civile.
En matière de paix et de sécurité, nous devons notamment prévenir les sources de conflits, consolider la paix et permettre aux populations locales de continuer à vivre dans leur propre région malgré une situation d’insécurité grave. Les initiatives relatives au déminage et à la non-prolifération des armes légères et les projets qui lient le désarmement à l’emploi et à la formation bénéficient à cet égard d’un soutien prioritaire. En matière de renforcement de l’État de droit et de développement de la société civile, nous devons appuyer les institutions ou les organisations qui visent à stabiliser la paix. Cela signifie entre autres le soutien au processus de démocratisation, aux instances ou associations actives dans le domaine des droits de l’homme, à la réhabilitation des services publics, à la construction de la société civile, notamment par la réhabilitation du système juridique, administratif, fiscal et par un soutien aux processus électoraux.
Le domaine est vaste et les thématiques de subdivision dans le budget peuvent parfois émarger à l’une ou l’autre des priorités évoquées ci-dessus.Vous m’interrogez également sur le bilan et sur l’évaluation de l’utilisation des budgets. Ceux-ci s’élevaient en 2003, sur la ligne budgétaire prévention des conflits, à 22,5 millions d’euros en engagements et à 7,5 millions d’euros en ordonnancements. En 2004, ils s’élèvent à 22,5 millions d’euros en engagements et à 15 millions d’euros en ordonnancements.
Une partie de ces subsides soit 36 % des crédits d’engagement et 63 % des crédits d’ordonnancement ont été attribués au cours de la précédente législature par le secrétaire d’Etat à la Coopération au développement. Certaines de ces interventions ainsi que bon nombre de celles que j’ai moi-même appuyées en 2003 s’étalent sur plus d’une année calendrier, ce qui implique qu’il est trop tôt pour en dresser un constat figé dans le temps. Une liste de l’ensemble des interventions peut toutefois être communiquée par écrit.
Les critères d’attribution des subsides suivant les thématiques évoquées plus haut font également l’objet d’une approche géographique. La région des Grands Lacs est certainement la principale bénéficiaire de ces subsides. Au Burundi et en RDC, nous intervenons essentiellement dans le cadre d’un appui aux processus de transition, mais également dans le cadre du précantonnement de la démobilisation et de la réinsertion des personnes en armes, en ce compris les enfants soldats. Au Rwanda, nos interventions se sont concrétisées prioritairement par un appui au système judiciaire. D’autres pays tels que l’Ouganda, la Tanzanie, l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire ont également fait l’objet d’interventions ciblées.
En 2003, nous sommes également intervenus au Moyen Orient principalement dans les territoires palestiniens, en Afghanistan, en Colombie, au Laos, au Cambodge, en République Dominicaine et dans différents pays d’Europe centrale et orientale. Les budgets des interventions varient en fonction de la problématique à laquelle il y a lieu de faire face. Il est certain que le financement d’opérations de déminage ou de démobilisation coûte beaucoup plus cher qu’une intervention visant à financer une mission d’observateurs du respect des droits de l’homme ou un séminaire en appui à la concertation syndicale ou au dialogue parlementaire.

En ce qui concerne l’évaluation des activités financières au cours de la précédente législature, celles-ci ont plutôt fait l’objet d’un monitoring ponctuel, les structures d’évaluation tant interne qu’externe ayant été redéfinies et installées au sein de la direction de la coopération du Service public fédéral Affaires étrangères il y a quelques mois seulement.Il est vraisemblable que, dans le rapport que l’évaluateur spécial présentera au Parlement avant mars 2005, figureront des activités financées sur la ligne budgétaire prévention de conflits ou sur la ligne diplomatie préventive.Le meilleur baromètre reste, pour moi, les progrès que nos interventions ont permis d’engranger pour résoudre une crise ou pour consolider un processus de paix. Le chemin est parfois long, mais vous conviendrez que notre diplomatie a poursuivi une politique dynamique et volontariste qui a déjà enregistré des résultats significatifs.

Enfin, je peux vous confirmer que la Belgique participe à des programmes de prévention des conflits et de maintien de la paix en collaboration avec les organismes internationaux et, notamment, avec l’Union européenne, les institutions spécialisées des Nations unies et l’OSCE. Notre pays s’inscrit dans un cadre multilatéral pour appréhender des phénomènes transversaux tels que la prolifération des armes légères, l’élimination des armes antipersonnel, le crime organisé à l’échelon transnational, le commerce de diamant, le commerce de la drogue, les enfants-soldats, etc. Le renforcement et une meilleure coordination des interventions régionales ou sous-régionales pour la prévention et la résolution de conflits font également l’objet d’une attention particulière.

En réponse à la question de Mme de Bethune, je voudrais faire part des éléments de réponse suivants. Divers critères sont pris en considération lors de l’évaluation des propositions de projets. Les critères qualitatifs sont en premier lieu les caractéristiques de l’organisation demandeuse, l’importance de son expérience, les objectifs poursuivis, le caractère ciblé de la proposition, le document décrivant le projet, la transparence de la proposition de budget, la conformité entre les activités proposées et le budget qui leur est consacré. La plupart des projets sont introduits par des organisations internationales, à leur initiative. Il s’agit d’ONG, d’universités, de syndicats etc. L’administration et la cellule stratégique de mon département évaluent la pertinence des projets. Les postes diplomatiques jouent aussi un rôle dans la proposition et l’évaluation d’initiatives.

Sur un budget de 8.600.000 euros pour l’année 2003 destiné aux interventions et aux initiatives de la Belgique en matière de diplomatie préventive, 8.505.240 euros ont été engagés pour des crédits.En date du 5 février 2004, 4.687.224 euros avaient déjà été dépensés sur les montants approuvés en 2003 par le conseil des ministres.Je transmettrai volontiers à Mme de Bethune un tableau récapitulatif et une liste de tous les montants approuvés en 2003 par le conseil des ministres. Environ un tiers des crédits engagés au budget 2003 concernent l’administration centrale et les postes à l’étranger.
La sélection des projets s’opère sur la base des priorités de la politique extérieure belge et de critères qualitatifs portant sur l’organisation demandeuse, l’importance de son expérience, les objectifs du projet, le caractère ciblé de la proposition, la transparence de la proposition de budget et la conformité entre les activités proposées et le budget qui leur est consacré. Sous la précédente législature, il n’y a eu aucune évaluation de l’utilisation de ce budget.

Les projets approuvés par le conseil des ministres sur la ligne budgétaire « diplomatie préventive » font l’objet d’un suivi par les services concernés du service public fédéral Affaires étrangères, à savoir les services géographiques, le service de diplomatie préventive, les postes diplomatiques, la direction B&B et la cellule stratégique.

Pour certains projets approuvés sur proposition de la vice-première ministre, Mme Onkelinx, le suivi se fait en concertation avec l’administration du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale.

Cette ligne budgétaire n’est pas prise en compte dans le budget de la Coopération au développement, mais les dépenses pour les pays en voie de développement sont intégrées dans les dépenses totales de la Belgique consacrées à l’Official Development Aid.

Je souscris entièrement à la préoccupation de Mme Lizin. Je suis tout à fait désireux de suivre et de soutenir sa suggestion. Je me tiens à sa disposition pour organiser cette conférence en Belgique. Des moyens sont disponibles en prévention des conflits, si nécessaire. Nous pouvons certainement espérer être utiles à ce niveau. Par ailleurs, étant donné que nous allons assurer la présidence de l’OSCE, ce type d’initiative est intéressant. Je reviendrai d’ailleurs en temps utile avec un programme directeur en vue de valoriser au mieux cette présidence.

Sachez que je travaille dès maintenant à l’élaboration d’une stratégie OSCE avec mon collègue M. Rupel, ministre des Affaires étrangères de Slovénie, qui assurera la présidence de l’OSCE avant nous. L’OSCE fonctionne comme une troïka : pendant trois ans, on est associé à la direction des opérations. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il pourrait être intéressant d’avoir une stratégie cohérente entre nos deux présidences. C’est donc avec plaisir que je réponds favorablement à votre demande, madame Lizin.

Mme Sabine de Bethune (CD&V) – Le ministre a promis de me faire parvenir un tableau établissant un relevé des projets. Je le remercie car c’est un élément concret.Pour le reste, sa réponse est plutôt générale, mais je reconnais que ma question l’était aussi. J’apprécierais qu’un débat soit mené en commission des Relations extérieures et de la Défense sur l’ensemble de la politique menée en matière de prévention des conflits et de diplomatie préventive. Je m’en tiendrai donc là pour l’instant.

M. Pierre Galand (PS) – Je remercie le vice-premier ministre des informations qu’il nous a communiquées et qui me paraissent extrêmement intéressantes. J’aurais également voulu savoir quelle procédure d’évaluation allait être utilisée pour vérifier l’efficacité en prévention des conflits. La question est d’autant plus intéressante que la Belgique aura prochainement un rôle à jouer au sein des Nations unies. Elle pourrait donc utiliser sa future position comme tremplin pour élaborer un certain nombre de propositions concernant l’institution qui a des responsabilités particulières en cette matière.

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères – Je suis tout à fait d’accord. Il serait intéressant que vous disposiez des tableaux. Je me propose de vous les communiquer intégralement et dans le temps. Je vais également procéder à une analyse de ces tableaux en fonction des politiques que nous voulions mener afin de montrer que nous avons essayé de travailler de manière cohérente.Par ailleurs, je participe à de nombreuses réflexions sur d’éventuels changements à apporter dans le fonctionnement des Nations unies. J’avais déjà proposé que nous menions un véritable débat avec des gens comme M. Brahimi qui connaissent bien le sujet.

Je crois que le Sénat devrait réfléchir en profondeur à propos des Nations unies. Je sais qu’un grand nombre de sénateurs ont des idées en la matière et j’en ai aussi, certes parfois un peu iconoclastes mais de nature à faire progresser le débat. Il faudra bien que nous décidions, un jour ou l’autre, de réhabiliter cette institution fondamentale. J’ai, par exemple, proposé la création d’un conseil économique et social qui, à l’instar du Conseil de sécurité, serait légitimé par le droit. Certaines questions sont incontournables. Qu’en est-il de la représentation au Conseil de sécurité ? Que penser du fait que des pays non démocratiques puissent prendre part à des votes ? Le système peut-il encore fonctionner avec le maintien du droit de veto ? Comment résoudre le problème posé par une série de régions en décrochage, non représentées et dépourvues de tout poids politique ?

M. le président – J’accueille votre suggestion avec enthousiasme, monsieur le ministre. Jusqu’à présent, nos colloques se sont essentiellement penchés sur les questions européennes mais il serait aussi très intéressant d’avoir une réflexion à propos de l’ONU.

Mme Anne-Marie Lizin (PS) – La commission des Affaires étrangères a décidé d’entamer une discussion sur le sujet –M. Lakhdak Brahimi et M. Jacques Delors m’ont promis de participer– et il va de soi qu’elle pourrait connaître un prolongement en séance plénière. La réforme des Nations unies est à l’ordre du jour depuis 1961. Le Sénat pourrait y apporter sa contribution, même si le sujet n’est pas encore tout à fait mûr.
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