Les ministres européens des Affaires étrangères ont décidé ce 18 avril de suspendre leur aide au Gouvernement palestinien constitué par le Hamas. Les raisons invoquées ? Le gouvernement, nouvellement constitué suite aux élections démocratiques de - janvier 2006, n’a pas respecté les conditions européennes, à savoir la reconnaissance d’Israël, l’acceptation des accords d’Oslo et la renonciation à la violence.
La déclaration du Conseil européen a été ressentie comme une trahison et un abandon par la population palestinienne. Elle a par contre été saluée par le nouveau Premier ministre israélien, M. Olmert.
Dans le monde arabe, un même sentiment d’incompréhension a suivi la déclaration européenne de suspension et a conforté la défiance qui s’y était déjà exprimée en novembre 2005, lors du sommet du 10e anniversaire des accords euro-méditerranéens de Barcelone.
En Europe enfin, cette décision n’est pas faite précisément pour favoriser la convivialité et la compréhension entre les communautés.
Or, Monsieur Marc Otte, Représentant spécial de l'Union européenne pour le Processus de Paix au Moyen-Orient, devait apprendre à une délégation de parlementaires belges, venue lui faire part de son incompréhension et de son inquiétude à ce propos, que la décision européenne de suspension de l’aide ne porte en fait que sur 12% du total de la contribution engagée au bénéfice de l’Autorité palestinienne pour l’année 2006.
Se pose alors la question du sens d’une déclaration publique aussi brutale. Qui a-t-on cherché à rassurer ? Les Etats-Unis qui pressaient l’Europe de les suivre sur la voie de l’isolement du Hamas ? Les Israéliens au lendemain de l’élection de M. Olmert ?
Les Européens ne se sont-ils pas trompés lourdement de décision - ou à tout le moins de communication de cette décision - et ont-ils réellement mesuré les effets négatifs de leur choix ?
En Palestine, ils donnent raison aux plus radicaux. Dans le monde arabe, ils apparaissent comme injustes, lâches et inconsistants. Sur le plan international, ils se sont officiellement alignés sur les USA.
Et même si leur décision de suspension ne porte que sur 12% du total de l’aide européenne, il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit d’une mesure politique visant à forcer le gouvernement Hamas à obtempérer aux injonctions de la communauté internationale.
Or, pour ce qui concerne la reconnaissance d’Israël, Mahmoud Zahar, Ministre des Affaires étrangères, a déclaré début avril que le gouvernement palestinien accepterait le tracé des frontières de 1967, ce que l’on appelle communément la Ligne verte. N’est-ce pas là une manière de reconnaître qu’au-delà de la Ligne verte, c’est un autre Etat, celui d’Israël ?
Réciproquement, M. Olmert va-il reconnaître qu’au-delà de la Ligne verte, c’est le territoire palestinien ?
Quant à Oslo et aux négociations pour la Paix, jusqu’à présent, ce sont les porte-parole politiques israéliens qui les ont rejetés et qui parlent de solution unilatérale.
Enfin, au registre de la terreur, si les attentats kamikaze- sur des civils sont intolérables, les attentats ciblés israéliens contre des civils palestiniens le sont tout autant.
L’Union européenne et ses pays membres n’ayant pris aucune mesure pour contraindre Israël à arrêter la construction du Mur de séparation en territoire palestinien, comme les y invitaient expressément l’Avis de la Cour Internationale de Justice du 9 juillet 2004 et la résolution ES/10-15 de l’AG des Nations Unies du 20 juillet 2004, ils apparaissent comme pratiquant ouvertement la politique des deux poids-deux mesures. C’est - ainsi que les Européens se discréditent sur le plan international.
L’Europe aurait dû, d’une part, respecter ses propres engagements dans le cadre des accords euro-méditerranéens de 1995 et comme partie prenante du Quartet en faisant appliquer la Feuille de route et, d’autre part, prendre en considération l’initiative de paix arabe lancée en février 2002 par le Prince Abdallah et adoptée par le Sommet de la Ligue arabe à Beyrouth en mars 2002. Pour rappel, cette initiative proposait de normaliser les relations des pays arabes avec Israël en échange d’un retrait israélien total des territoires arabes occupés depuis 1967 et de l’établissement d’un Etat palestinien.
Aujourd’hui, si l’Europe veut retrouver sa crédibilité, qu’elle applique donc authentiquement l’équidistance dont elle avait fait son credo les années précédentes. Que ses exigences s’adressent parallèlement aux deux parties, dans la cohérence et avec le souci réel d’assurer la co-existence de deux Etats sur base des conditions d’une paix juste et durable. Il n’y a pas d’autre issue ouverte à ce conflit déjà trop long, pénible et coûteux pour les deux peuples.
Dernières nouvelles
Un mois après la désastreuse décision de suspension de l’aide européenne, le Quartet, suite aux rapports alarmistes des Nations Unies et même de la Banque Mondiale, tente d’opérer un revirement. Sur proposition de l’Union européenne et sous sa responsabilité un mécanisme « transitoire » (3 mois) va être mis en place en vue d’aider l’Autorité Palestinienne à sortir de la crise financière actuelle.
Même si cette initiative laisse supposer que les Etats Unis ont dû céder du terrain par rapport à leur politique d’intransigeance absolue, le Quartet n’a pris aucune initiative pour forcer Israël à restituer à l’Autorité Palestinienne les sommes importantes dues à cette dernière et qui représentent près de 90% du budget salaire des fonctionnaires de l’Autorité Palestinienne.
Pierre Galand,
Sénateur
Président de l’Association belgo-palestinienne (ABP)
Président du Comité européen de coordination des ONG sur la question de la Palestine (ECCP)
10 mai 2006