Les élections qui viennent de se tenir en Palestine pour la formation du conseil législatif et celles qui doivent avoir lieu prochainement en Israël témoigneront l'une et l'autre de la maturité démocratique des deux populations. Les observateurs présents en Palestine s'accordent pour dire que la campagne électorale, le vote et les décomptes dans les bureaux furent transparents, libres et « fair ».
Les Palestiniens se sont rendus en masse le 25 janvier vers les bureaux de vote partout où cela leur était permis. Le petit nombre d'électeurs à Jérusalem s'explique par l'occupation israélienne. C'est donc à la suite d'un processus parfaitement démocratique que le Hamas va assurer le pouvoir en Palestine, au même titre que c'est le plus démocratiquement que Sharon a assuré le pouvoir en Israël.
Ces élections se révèlent aussi un événement social, témoignant du contrat social qui lie les Palestiniens en tant que peuple en lutte pour son droit à un Etat souverain et indépendant. Voilà donc le Hamas aux commandes de la Palestine - qualifié par les Etats-Unis et l'Union européenne d'organisation terroriste - applaudi et fêté par la rue arabe en général, et certain de l'appui de nombreux gouvernements du Moyen-Orient, du Golfe et d'Asie.
Les Américains, conseillés et mis sous pression par le gouvernement israélien, se sont engagés dans une guerre en Irak où ils gèrent une situation désastreuse et surtout où, sous leur contrôle, s'est installé au pouvoir un gouvernement à forte connotation religieuse chiite. Ils engagent aujourd'hui une partie de bras de fer avec le gouvernement iranien, lui aussi démocratiquement élu et proche du Hamas et des Frères musulmans qui viennent de s'affirmer en Egypte, eux aussi par la voie des urnes. Il est donc bien évident que les seules normes démocratiques, même appliquées sous l'oeil vigilant de la communauté internationale, sont loin de suffire pour assurer la paix et la coexistence pacifique et pour permettre aux peuples de nombreuses démocraties dans le monde d'arriver à se relever économiquement et socialement.
En Palestine, de manière tragique, mais aussi en Israël de manière moins visible, la guerre israélo-palestinienne, l'occupation, le Mur, le besoin de sécurité, la colonisation croissante de territoires en Palestine ont des effets désastreux qui paupérisent dramatiquement les populations. Les montants importants d'assistance financière accordés par les Etats-Unis à Israël et ceux accordés par l'Union européenne et les fonds arabes à l'autorité de Palestine n'ont pu empêcher une fracture sociale croissante. Si le modèle démocratique progresse, l'adhésion au religieux augmente. Ce n'est pas l'apanage de l'Orient. M. Bush et M. Poutine sont très pieux et attachés à leurs Eglises respectives auxquelles ils confèrent privilèges et place dans les affaires d'Etat.
L'arrivée du Hamas au pouvoir en Palestine est le résultat du choix très conscient de l'électorat palestinien consécutif à l'échec du processus de paix, de la mauvaise gouvernance du Fatah, de l'exclusion sociale et de l'asphyxie économique résultant de la politique israélienne pour l'essentiel. Il faut avoir suivi l'évolution du Hamas ces dernières années pour savoir que c'est avec de bonnes raisons que les Palestiniens y voient une alternative à un Fatah usé. Le Hamas a promu une image de parti nationaliste, intransigeant, honnête, organisé, développant un programme social et de propreté publique, avec l'appui des mosquées qui ont développé quantité de services d'entraide.
Le Hamas se révèle bon gestionnaire dans les communes où il a pris le pouvoir après les élections communales de janvier 2005. Mieux, dans les zones où la sécurité est assurée conjointement par les services israéliens et palestiniens, cela fonctionne plutôt bien. Les contacts sont donc bien réels entre le Hamas et la puissance occupante. Des amis à Bethléem m'ont assuré qu'une partie de la communauté chrétienne avait voté pour le Hamas, non par esprit oecuménique, mais pour sanctionner ceux qui ne les ont en rien protégés.
En Palestine, la population a voté et cela ne plaît pas. Soit. Cela ne me plaît pas non plus. Et donc, puisque l'UE, nos gouvernements et bon nombre d'associations sont actifs sur place, qu'ils ne s'en désengagent pas. Bien sûr, il faut mettre à notre coopération des balises qui découlent des fondements de la démocratie, mais surtout il ne faut ni condamner par avance ni se retirer car c'est contraire à la démocratie et aux principes même du libre-examinisme. Ce serait en outre contraire à la défense et à l'appui indispensable à ceux qui, aujourd'hui, de par l'alternance démocratique, se retrouvent dans l'opposition ou sont marginalisés dans la société civile palestinienne face aux oeuvres sociales des mosquées.
L'UE, en concertation avec les autres membres du Quartet, devra sortir de sa confortable équidistance pour clarifier avec les Palestiniens quelles balises devront encadrer le nouveau partenariat. Elle devra obtenir du nouveau gouvernement israélien issu des prochaines élections la fin de sa politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem ainsi que, conformément à l'avis de la Cour de Justice, l'arrêt des techniques d'enfermement territorial des Palestiniens. Le choc des élections en Palestine pourrait-il être un choc salutaire qui oblige les uns (nous) et les autres (eux) à forcer le rythme des efforts politiques pour aboutir à la coexistence dans la paix et le développement de deux peuples ayant chacun un Etat, vivant en paix et coopérant pour la coexistence et le développement de tous les riverains de la Méditerranée ?