L’avenir de la démocratie au Proche-Orient



Les élections qui viennent de se tenir en Palestine pour la formation du conseil législatif et celles qui doivent avoir lieu prochainement en Israël témoigneront l’une et l’autre de la maturité démocratique des deux populations, celle de la Palestine autant que celle d’Israël.

Les observateurs présents en Palestine s’accordent pour dire que la campagne électorale, le vote et les décomptes dans les bureaux furent transparents, libres et « fair » : honnêtes.
Tous les observateurs et une majorité de la population palestinienne ont été surpris par les résultats, le Hamas lui-même semblant pris de court par l’importante majorité lui accordée par les Palestiniens qui se sont rendu en masse le 25 janvier vers les bureaux de vote partout où cela leur était permis. Le petit nombre d’électeurs à Jérusalem s’explique par l’occupation israélienne et les tracasseries qui en découlent.  C’est donc à la suite d’un processus parfaitement démocratique que le Hamas va assurer le pouvoir en Palestine, au même titre que c’est le plus démocratiquement que Sharon a assuré le pouvoir en Israël.

Ariel Sharon s’est employé  durant toute sa primature à disqualifier Yasser Arafat et son gouvernement, même Mahmoud Abbas démocratiquement élu à la succession d’Arafat fut rapidement considéré comme un interlocuteur « non crédible » pour M. Sharon. Aujourd’hui, les Palestiniens ont donc eux-mêmes, électoralement disqualifié leur gouvernement issu du Fatah pour le remplacer par un gouvernement Hamas. Voilà donc le nouvel interlocuteur palestinien pour négocier la paix avec Israël.
Le gouvernement israélien ne s’est-il donc pas tiré une balle dans le pied en agissant de la sorte ? La communauté internationale, en encourageant M. Sharon dans sa politique unilatérale de sortie puis d’enfermement de Gaza, en laissant en friche la feuille de route qui devait aboutir fin 2005 à la création de l’Etat de Palestine, n’a-t-elle pas failli et créé chez les Palestiniens un sentiment de défiance à son égard, à l’égard de M. Sharon mais aussi de sa propre autorité, le Fatah ?

Et voilà donc le Hamas aux commandes de la Palestine - qualifié par les Etats Unis et l’Union européenne d’organisation terroriste - applaudi et fêté par la rue arabe en général, et certain de l’appui de nombreux gouvernements du Moyen Orient, du Golfe et d’Asie.

Les Américains, conseillés et mis sous pression par le gouvernement israélien, se sont engagés dans une guerre en Irak où ils gèrent une situation désastreuse et surtout, où, sous leur contrôle, s’est installé au pouvoir un gouvernement à forte connotation religieuse chiite. Ils engagent aujourd’hui une partie de bras de fer avec le gouvernement iranien, lui aussi démocratiquement élu et proche du Hamas et des Frères musulmans qui viennent de s’affirmer en Egypte, eux-aussi par la voie des urnes. Il est donc bien évident que les seules normes démocratiques, même appliquées sous l’œil vigilant de la communauté internationale, sont loin de suffire, d’une part pour assurer la paix et la coexistence pacifique, d’autre part pour permettre aux peuples de nombreuses démocraties dans le monde d’arriver à se relever économiquement et socialement.

En Palestine, de manière tragique, mais aussi en Israël de manière moins visible, la guerre israélo-palestinienne, l’occupation, le Mur, le besoin de sécurité, la colonisation croissante de territoires en Palestine ont des effets désastreux qui paupérisent dramatiquement les populations. Les armes circulent librement dans les deux pays, entre eux aussi. Les montants importants d’assistance financière accordés par les Etats-Unis à Israël et ceux accordés par l’Union européenne et les fonds arabes à l’autorité de Palestine n’ont pu empêcher une fracture sociale croissante.

Si le modèle démocratique progresse, l’adhésion au religieux augmente, elle aussi, au point d’amener au pouvoir des dirigeants affiliés et se revendiquant de leur foi.  Ce n’est pas l’apanage de l’Orient. M. Bush ainsi que M. Poutine sont très pieux et attachés à leurs églises respectives auxquelles ils confèrent privilèges et place dans les affaires d’Etat. Nous nous éloignons du modèle français de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Pourtant, il y a quelques années à peine, Israël mais aussi l’OLP représentaient un espoir de coexistence de deux Etats laïcs au Proche-Orient.

L’arrivée du Hamas au pouvoir en Palestine est le résultat du choix très conscient de l’électorat palestinien consécutif à l’échec du processus de paix, de la mauvaise gouvernance du Fatah, de l’exclusion sociale et de l’asphyxie économique résultant de la politique israélienne pour l’essentiel. Il faut en outre avoir suivi l’évolution du Hamas ces quelques dernières années pour savoir que c’est avec de bonnes raisons que les Palestiniens y voient une alternative à un Fatah usé. En face, le Hamas a promu une image de parti nationaliste, intransigeant, honnête, organisé, développant un programme social et de propreté publique, le tout bien sûr avec l’appui des mosquées qui ont développé quantité de services d’entraide avec des moyens non négligeables offerts par des communautés musulmanes de l’étranger.
Tous les observateurs en conviendront, ces élections plutôt exemplaires se révélèrent aussi un événement social, témoignant jusqu’au bout, c’est-à-dire lors de la publication des résultats, du contrat social qui lie les Palestiniens en tant que peuple en lutte pour son droit à un Etat souverain et indépendant.
Le Hamas se révèle bon gestionnaire dans les communes où il a pris le pouvoir après les élections communales du début janvier 2005.  Mieux, dans les zones où la sécurité est assurée conjointement par les services israéliens et palestiniens, cela marche plutôt bien. Les contacts sont donc bien réels entre le Hamas et la puissance occupante. Des amis à Bethléem m’ont assuré qu’une partie de la communauté chrétienne avait voté pour le Hamas non par esprit oecuménique mais pour sanctionner ceux qui ne les ont en rien protégés.

Tout le monde aurait-il faux ? Sommes-nous aveugles ? Croyons-nous tellement en nous et en nos modèles ? Avons-nous tant de défiance pour les autres, le monde musulman en particulier que nous serions à l’image d’Israël, prêts pour la confrontation, non plus Est-Ouest mais Occident chrétien contre Orient musulman ?

Le gouvernement chinois, sous les auspices de l’ONU, m’avait invité en juin 2004, avec une dizaine d’experts internationaux, à exposer, à Pékin, devant un parterre de hauts fonctionnaires de leur ministère des Affaires étrangères, notre vision de l’évolution du conflit au Proche-Orient. Assisteront-ils silencieux au spectacle désolant de notre confrontation, maintenant millénaire, avec les Arabes ? En tireront-ils un profit supplémentaire dans leur irrésistible - et parfaitement maîtrisée- ascension comme « global player » dans le monde ? C’est à cette occasion que j’ai pu découvrir la préoccupation majeure des dirigeants chinois pour l’anthropologie comme science incontournable de l’approche des questions politiques.

Il y a donc urgence que nous en revenions à quelques règles de parfaite sagesse que nous a léguée notre propre histoire contemporaine après des décennies de luttes sociales, de guerres coloniales, de luttes de libération nationale, après deux guerres mondiales et la lutte antifasciste. Toutes ces luttes nous ont appris que tous les peuples ont une incroyable capacité d’organiser leur propre survie au travers d’une diversité de modes de résistance. Au travers de ces choix multiples, c’est toujours de dignité humaine dont il est question. Qu’on l’apprécie ou non, le monde arabo-musulman et les Palestiniens, leur phare, ne s’exprime pas autrement face aux forces dominantes.
Forts de notre héritage, forts de la manière dont nous-mêmes, lors des moments durs et difficiles de notre propre histoire, avons appris tout à la fois la résistance et la tolérance, nous avons construit notre propre capacité à faire passer dans la loi les droits humains et sociaux et à construire le droit international. Ce qui nous semblait un supplément de progrès de l’humanité, de plus grande dignité pour tous, pourquoi donc n’est-ce pas cela que nous chercherions plus sérieusement à promouvoir, à communiquer, à partager avec les autres peuples, aussi au Proche-Orient ?  Sur le plan international, en particulier pour la région du Proche-Orient, allons-nous sanctionner et condamner un vote démocratique parce que contraire à nos attentes, ou allons-nous essayer d’interpréter et de nous mettre à la hauteur des valeurs que nous prétendons défendre et faire partager par les autres peuples ?

En Palestine, la population a voté et cela ne plaît pas. Soit. Cela ne me plaît pas non plus. Et donc, puisque l’UE, nos gouvernements et bon nombre d’associations – ONG, défenseurs des droits de l’homme, syndicats, associations culturelles, universitaires – sont actifs sur place, qu’ils ne s’en désengagent pas .  Bien sûr, il faut mettre à notre coopération des balises qui découlent des fondements de la démocratie mais surtout il ne faut ni condamner par avance ni se retirer car c’est contraire à la démocratie et aux principes même du libre-examinisme.
Ce serait en outre contraire à la défense et à l’appui indispensable à ceux qui, aujourd’hui, de par l’alternance démocratique, se retrouvent dans l’opposition ou sont marginalisés dans la société civile palestinienne face aux oeuvres sociales des mosquées. Notre appui critique en Palestine doit être fondé sur l’exigence démocratique et le souci d’aider tous ceux qui, malgré la sanction électorale, seront toujours là demain dans les institutions palestiniennes et au sein de la société civile pour reconstruire une Palestine, société de droit, au côté d’Israël, lui aussi pacifié et assuré de son droit à exister à part entière dans le Moyen-Orient. 

L’UE, en concertation avec les autres membres du Quartet, devra sortir de sa très confortable équidistance pour clarifier avec les Palestiniens quelles balises strictes devront encadrer le nouveau partenariat. Il devra se fonder sur l’exigence absolue de non-violence et de respect des opinions de ceux qui ne partagent pas la religion islamique et qui souhaitent pouvoir s’asseoir en terrasse pour boire une bière…
 Dans le même temps, l’UE devra obtenir du nouveau gouvernement israélien issu des prochaines élections en mars, la fin de sa politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem ainsi que, conformément à l’avis de la Cour de Justice, l’arrêt des Murs et des techniques de l’enfermement territorial des Palestiniens.

C’est aujourd’hui que cela se jouera, dans une arène politique dont peut sortir à la fois un Etat de Palestine, une Jérusalem ouverte à tous et en particulier aux trois religions du Livre, et un Etat d’Israël en paix avec les autres et avec lui-même. Cela conduira inévitablement à un renouveau des relations euro-méditerranéennes entre les deux rives et ferait de la Méditerranée non seulement une zone de paix et de coopération économique et culturelle mais aussi un ensemble de peuples acceptant leur multiplicité culturelle, capable d’être un des axes de la renaissance des idées et du bien être pour l’ensemble de la planète.

Le choc des élections en Palestine, qui secoue le monde entier,  pourrait-il être un choc salutaire qui oblige les uns (nous) et les autres (eux) à forcer le rythme des efforts politiques à accomplir pour aboutir sans retard à la coexistence dans la paix et le développement de deux peuples ayant chacun un Etat, vivant en paix et coopérant pour la coexistence et le développement de tous les riverains de la Méditerranée.

28 janvier 2006

Pierre Galand
Sénateur PS
Observateur aux élections palestiniennes du 25 janvier 2006

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