CHRONIQUE LOGEMENT
Janvier - Avril 2005

LE DROIT AU LOGEMENT DECENT 10 ANS APRES LE
RAPPORT GENERAL SUR LA PAUVRETE

La situation s’est nettement aggravée dans le domaine du logement par rapport à 1994

10 ans après la publication du Rapport Général sur la Pauvreté, le Service public fédéral Intégration sociale, le Centre pour l’Egalité des chances et la Fondation Roi Baudouin ont publié, au mois d’avril 2005, dix « notes de discussion » dont une concerne le logement. Le constat est sans appel : la situation s’est nettement aggravée par rapport à 1994. Le prix des loyers s’est envolé, et davantage pour les logements modestes.

La note rappelle que la mobilisation autour des problèmes de logement est de plus en plus large et pressante. Si certaines avancées ont été faites : réglementation de la qualité des logements à travers les Codes du logement, lutte contre les marchands de sommeil, mise sur pied des agences immobilières sociales, le nombre de logements inoccupés est ressenti comme une véritable insulte par ceux qui n’ont pas de toit. Et de constater que si les décideurs de toutes tendances politiques encouragent l’acquisition d’un logement, les mesures en ce sens bénéficient surtout aux classes moyennes.

En 1994, le RGP critiquait le mode d’attribution des logements sociaux. On peut constater aujourd’hui que la situation s’est améliorée, même si le clientélisme n’a pas disparu.
Le secteur du logement social est en pleine effervescence :
En Wallonie, un milliard d’euros est débloqué pour rénover quelque 36.000 logements sociaux. Des tours seront déconstruites, certaines ne seront pas compensées par de nouvelles constructions et une partie du parc locatif pourra être vendue. D’où inquiétudes parmi les locataires sociaux.
En Flandre, un projet de décret sur le logement social fait énormément de bruit, puisqu’il prévoirait l’obligation d’apprendre le néerlandais, un contrat d’essai de deux ans et l’accessibilité à des catégories de revenus plus élevés et une plus grande liberté de fixation des prix, ceci au nom de la mixité sociale.
Mais c’est à Bruxelles que la crise est la plus aiguë. 5000 nouveaux logements publics seront construits, dont 70% de logement social et 30% destinés aux revenus moyens.

Et de rappeler les chiffres suivants :
Bruxelles : 38.345 logements sociaux - 24.792 ménages en attente
Wallonie : 102.045 logements sociaux – 42.000 ménages en attente
Flandre : 132.822 logements sociaux – 72.387 ménages en attente

Le RGP s’était préoccupé de l’habitat permanent en camping. Le phénomène s’est amplifié. La Flandre et la Wallonie ont mis de plans sur pied pour reloger ces habitants. Aujourd’hui, 10.000 personnes sont encore installées à demeure dans les campings de Wallonie.

Il y a aussi le non-logement : Si des améliorations juridiques sensibles ont été enregistrées à l’égard de sans-abris auxquels, depuis 1997, une « adresse de référence » est attribuée à travers le CPAS compétent, de nombreuses associations constatent que cette population a évolué. On observe davantage de jeunes et de femmes, en de plus en plus de familles complètes. Au niveau des expulsions (auxquelles n’échappent pas les logements sociaux), leur nombre de demandes (enregistrées auprès des juges de paix) s’élève à une centaine par semaine en Flandre. Chiffre auquel il faut ajouter les expulsions illégales, où le propriétaire jette le locataire à la rue sans aucune procédure en justice de paix, obligatoire depuis 2003.

Enfin, la note fait état de ce que les acteurs de terrain soulignent la non-application de certaines lois existantes et l’absence de mise en œuvre d’engagements formels pris par les décideurs politiques. Citons :
la tenue d’une Conférence interministérielle sur le logement, inscrite dans l’accord gouvernemental du 10 juillet 2003[1]
l’évaluation de la loi sur les baux à loyer de 1991, prévue dans le même accord
les commissions paritaires locatives
la loi fédérale sur les réquisitions d’immeubles et leurs versions « adoucies » dans les différents codes du logement, qui est peu appliquée.


En Région bruxelloise
Flambée, surchauffe, à la hausse toute ! la crise du logement à Bruxelles bat son plein. Dossier prioritaire pour le gouvernement bruxellois, des avancées – timides - sont cependant annoncées sur divers plans.

La crise
Les Bruxellois consacrent en moyenne 30% de leur budget aux frais de logement. Pour les plus démunis, le chiffre monte jusqu’à 60%. Et ce sont souvent les logements au loyer le plus bas qui augmentent le plus, en dépit de leur inconfort. Le rapport publié en février par les Facultés universitaires Saint Louis avec le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat, explique ce phénomène notamment par le fait que le logement ne représente que 5,5% du panier de la ménagère qui sert à calculer l’index. Par ailleurs, Bruxelles reste une ville peuplée surtout de locataires (59% pour 31% de moyenne nationale) et la région, confrontée à l’exode des classes moyennes, est en voie de paupérisation.
Entre 1998 et 2003, le prix des maisons unifamiliales a augmenté de 59% à Bruxelles, celui des appartements de 56%. Et les propriétaires répercutent cette hausse sur les loyers.
La flambée des prix vient d’être confirmée par le Rapport annuel des géomètres-experts : en 2004, la hausse des maisons unifamiliales a été de 14% par rapport à 2003, celle des appartements de 18%. Et ce sont les biens bénéficiant de la situation la moins favorable qui s’emballent le plus. Consolation pour les candidats acheteurs : des taux de prêts hypothécaires très bas (4,5% en mars 2005).

Rien d’étonnant donc que des voix s’élèvent de plus en plus en faveur d’un « encadrement des loyers » : si pas un blocage, du moins l’établissement d’un loyer « objectif ».
Le gouvernement bruxellois a confié à l’Observatoire du Logement (une personne basée à la Société du Logement de la région de Bruxelles-Capitale – SLRB) la tâche de définir des loyers de référence, un tableau établissant ce qu’est un loyer acceptable pour un type de logement déterminé.
En projet
Rappelons les projets dans les cartons : la construction de 5.000 nouveaux logements en 5 ans (dont 70% de logement social et 30% de logement moyen). C’est ce qu’on appelle le Plan pour l’avenir du logement, auquel il faut ajouter la construction de 222 logements sociaux annoncée par la Secrétaire d’Etat Françoise Dupuis en décembre dernier. Mais la première brique n’a pas encore été posée…
La Secrétaire d’Etat signale l’intérêt actuel des promoteurs immobiliers et des investisseurs pour le logement (20% des bureaux sont vides à Bruxelles). Les cahiers des charges sont globalisés, c’est-à-dire qu’il est demandé aux promoteurs de concevoir, de construire et d’entretenir les logements. Son espoir est de recevoir des projets imaginatifs.
La couverture financière du programme ne pose pas problème, ce qui pose problème, c’est de trouver des terrains.
La SLRB a été chargée de contacter les acteurs publics. A ce jour, 4 communes ont répondu positivement : Ixelles, Molenbeek, Uccle et Neder Over Hembeek.

Un vaste projet de rénovation des logements sociaux (parfois tout à fait insalubres, comme au Foyer schaerbeekois, où les travaux commencés en avril, dureront jusqu’au mois de juin 2008) est aussi à l’ordre du jour. 82 millions d’euros y seront consacrés.

Le code du Logement évalué
Le Code du Logement vient d’être évalué après 9 mois de fonctionnement.
Le Service régional d’Inspection a traité 873 dossiers depuis l’entrée en vigueur du Code en juillet 2004. Sur l’ensemble des dossiers traités, seuls 15 d’entre eux ont abouti à une interdiction de mise en location. Toutes les familles ont cependant été relogées et sans augmentation de loyer. Quelque 321 plaintes ont été enregistrées et concernent essentiellement des problèmes d’humidité et d’installation de gaz. Il y a aussi des problèmes d’aération, d’eau chaude, d’électricité.
62 dossiers ont fait l’objet d’amendes administratives d’un montant moyen de 6500 €.
La création d’un Fonds de Relogement de 100.000 € permettra de répondre aux urgences. Ce fonds initial sera alimenté par les amendes.

Par ailleurs, Françoise Dupuis a annoncé la révision du Code qui présente quelques dispositions pratiques parfois trop strictes (un exemple : la largeur des portes prévue par la Code dépasse de 2 cm les portes standard vendues le plus couramment).

Des avancées
Fonds du Logement : augmentation de sa dotation pour 2005.
Le Fonds du Logement, Société coopérative à responsabilité limitée, est un outil important de la politique du logement en région de Bruxelles-Capitale. Son activité première est d’aider les ménages disposant de revenus modestes ou moyens à accéder propriété. Chaque année, 650 ménages en bénéficient.
Sa dotation passe de 26 millions d’€ en 2004 à 30,7 millions en 2005, soit une augmentation de 20%. Ce qui signifie un pouvoir d’investissement qui va passer de 70 millions € en 2004 à quelque 83 millions en 2005.

Refonte des Adils : proposée par Françoise Dupuis fin décembre 2004, une réforme des Adils (Aide déménagement installation et loyer) entrera en vigueur le 1er juillet 2005. Cette aide touche 3.300 ménages bruxellois parmi les plus démunis. Le système veut encourager des familles à quitter leur logement insalubre ou inadapté (âge ou handicap). La réforme vise à faciliter l’accès aux Adils, via l’assouplissement des règles en matière d’établissement des revenus et de preuve de non-propriété. Les délais de traitement et de paiement des dossiers seront réduits. L’allocation est revue à la hausse, passant de 500 à 650 euros, augmentés de 10% par enfant à charge. Sa durée est consentie pour 5 ans à 100% et renouvelable à 50% par la suite. Les personnes de plus de 60 ans et handicapées bénéficieront de ces Adils à durée indéterminée.

Certaines voix se sont élevées pour dire que la refonte reste insuffisante. En effet, les Adils restent inaccessibles aux sans abris et aux personnes quittant une maison d’accueil, puisqu’il s’agit d’une aide accordée pour quitter un logement insalubre. Et de regretter l’absence de mise sur pied de l’allocation - loyer. La différence fondamentale entre les deux étant que les Adils sont liés au statut du logement du demandeur, tandis que l’allocation – loyer est liée à la personne qui introduit la demande.

La Commission « Logement et Rénovation urbaine » du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale s’est penchée sur de nombreuses questions en ce premier trimestre 2005, et en particulier sur celle de la promotion du logement dans les noyaux commerciaux. Une résolution visant à lutter contre l’inoccupation des étages supérieurs des commerces a été adoptée par le Parlement suite à ces travaux. Elle demande au gouvernement bruxellois d’envisager la possibilité d’instaurer un système spécifique de primes régionales afin de rénover les étages supérieurs des magasins et de réaliser une entrée séparée aux étages supérieurs. Ces primes seraient octroyées soit au propriétaire, soit au locataire (avec l’accord du propriétaire), contre la garantie que les logements rénovés seront affectés exclusivement à du logement conformément au code du logement.
Il y est question de désigner et de subsidier des médiateurs chargés de la prospection et de l’inventoriage de l’inoccupation des étages au-dessus des magasins, et d’informer les propriétaires ou locataires des possibilités de primes. Ces médiateurs recevront une formation spécifique.
En cas de refus des commerçants et/ou des propriétaires, une taxe pourrait leur être imposée.
Le gouvernement bruxellois est invité à décourager la transformation en bureaux des rez-de-chaussée, et même de les réaffecter à du logement.

Dans ce cadre, la Secrétaire d’Etat Françoise Dupuis a demandé au Syndicat national des propriétaires de réaliser une étude sur les bâtiments abandonnés. La démarche est intéressante, elle pourrait recevoir l’appui des AIS, mais il a aussi été précisé qu’il n’y avait pas de budget disponible pour ce faire.

Droit de gestion publique confirmé
La Cour d’Arbitrage a rejeté le 20 avril le recours introduit par le Syndicat National des Propriétaires contre le droit de gestion publique tel que défini par le Code bruxellois du Logement.
Il s’agit d’un arrêt très important pour le Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat :
parce que l’asbl a été reconnue comme « partie ayant un intérêt à agir » ;
parce que tous les arguments du S.N.P ont été rejetés ;
parce que la Cour reconnaît ainsi qu’une autorité peut restreindre le droit de propriété pour rendre effectif le droit au logement.

Conférence interministérielle sur le logement
Déjà postposée à deux reprises, elle devrait avoir lieu au mois de juin. C’est du moins ce qu’espèrent tant la Secrétaire d’Etat au Logement que le Ministre Christian Dupont (dans sa réponse à la question orale posée par Pierre Galand en avril).
Une mesure comme le contrôle des loyers, ou l’encadrement des loyers, ne peut être prise au seul niveau de la région bruxelloise. La loi sur les loyers est une compétence fédérale.

Par ailleurs, un troisième colloque « Logement » a été organisé à Liège le 11 février : « Rénover les centre-ville pour satisfaire les besoins en logement » ?
Synthèse des interventions en annexe.
La discussion sur l’utilisation des fonds de pension dans des projets éthiques a progressé.
Et une forte présence de syndicalistes était fort encourageante.


[1] Le Ministre André Antoine a relancé l’idée de mettre le fédéral, les régions et les communes autour de la table. Tous les niveaux de pouvoir sont concernés, la politique fiscale dépendant du fédéral. Lors d’une conférence européenne, le Ministre a découvert que 16 Etats membres sur 25 pratiquent sans problème avec l’Union, des taux de TVA préférentiels pour le logement. Une piste à suivre…

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