De la nécessité de poursuivre le débat sur le Traité instituant la Constitution européenne.


Des préparatifs étonnants, car c’est avec un certain décorum que l’on installe le Président et les Vice-Présidents de la Convention européenne en charge d’élaborer le Traité constitutionnel.

Certes ils travaillèrent, ils étaient d’ailleurs largement rémunérés pour ce faire. Mais ils déléguèrent également une large part de leurs travaux à la Commission européenne. Les hauts fonctionnaires ne se firent d’ailleurs pas prier, ayant par là l’occasion d’imprimer leurs vues au travers de nombreux textes adoptés par les membres de la Convention. Il en est ainsi de toute la troisième partie du texte conventionnel reprenant de manière plus cohérente et synthétique les divers traités antérieurs.

Il en résulte un ensemble en trois parties avec de nombreux renvois et expressions qui rendent le texte des plus ardus et quasi illisible pour le commun des peuples européens. Combien de parlementaires en charge d’avaliser le Traité auront eu le courage de le lire de bout en bout ?

La directive service, dite directive Bolkestein, dénoncée avec force par les organisations des travailleurs le 19 mars 2005 et dont l’adoption fut renvoyée et reportée lors du Sommet européen à Bruxelles le 22 mars dernier, n’est-elle pas inscrite en filigrane dans le Traité constitutionnel ?

La Constitution hausse en effet au rang de norme supérieure  « la concurrence libre et non faussée » tout en récusant une réelle harmonisation des normes sociales et fiscales.

Vouloir ou avoir l’ambition d’une Europe « entre égaux », d’une Europe « solidaire et coopérante », d’une Europe « force sociale » nécessite d’une part d’importants moyens qui imposent des choix budgétaires à l’exemple de l’Allemagne lorsqu’elle décida d’intégrer les länder de l’Est (des centaines de milliards d’euros annuellement pendant plus de dix ans), nécessite d’autre part un projet constitutionnel qui oriente l’harmonisation sociale vers le haut.

Cette Constitution donnera en fait encore plus de pouvoir à la Commission comme « chien de garde » de l’orthodoxie ultra-libérale en lui accordant notamment le droit  - Article III-168- d’empêcher des aides de l’Etat envers les régions en difficultés sociales profondes au motif que les aides ne sont « pas compatibles avec le marché intérieur » européen.

La Constitution n’offre aucune garantie de compatibilité entre la liberté d’entreprendre et le droit des peuples d’Europe de se doter des outils nécessaires au développement qu’ils souhaitent.

En effet, quels sont les articles constitutionnels qui combattent les délocalisations génératrices de déséquilibres majeurs des  économies régionales ? Quels sont ceux qui protègent les travailleurs contre les processus de spéculation sociale orchestrés par de grands groupes économiques à partir de zones franches intra-européennes, quels sont ceux enfin qui protègent les citoyens contre le détournement et la dévalorisation de leur épargne par des fonds spéculatifs rendus attractifs à force de publicités trompeuses et mensongères ?

La Constitution n’a rien prévu, dans un texte de 460 pages,  en vue d’empêcher la régression sociale et pour alimenter les fonds publics nécessaires à la  sauvegarde de la qualité de la vie pour tous, en particulier les plus démunis.

En bref, les pères de la Constitution ont tout simplement oublié la gestion du patrimoine essentiel de l’Europe, les ressources humaines. Ils ont oublié leur rôle social, se limitant à organiser un espace économique de la croissance, consacrant trop exclusivement la concurrence, l’individualisme et la rentabilité tout en abandonnant un peu plus les principes de solidarité, de défense collective du bien-être, d’appropriation  et de gestion publique et de cet autre patrimoine européen, celui du patrimoine public commun.

Dire que le Traité constitutionnel offre l’avantage d’intégrer la  Charte européenne des droits de l’homme, n’est ce pas un peu court dans la mesure où tous les pays européens ont souscrit à la Charte des Nations Unies et à la proclamation des droits de l’homme dès la fin de la deuxième guerre mondiale.

Dire que la Constitution rationalise et regroupe une série de traités antérieurs et serait un progrès par rapport au Traité de Nice, vraiment, c’est un argument de  vente peu convaincant.
Un Traité eut amplement suffi à cet exercice. Ou alors le Traité constitutionnel instituant la Constitution ne serait de fait qu’un Traité supplémentaire affublé du titre pompeux de Constitution, visant à sacraliser et à  sanctuariser un peu plus l’Europe marchande au détriment de celle des valeurs propres à nos démocraties de progrès social, contribution essentielle en termes de progrès de l’humanité.

Qu’un traité constitutionnel soit décidé paraît nécessaire pour consacrer une force politique au niveau de l’Europe et la positionner ainsi plus valablement par rapport aux grandes puissances politiques et financières mais à condition que ce traité n’organise pas la régression sociale ; n’est-il pas temps encore de donner du temps pour aboutir à un document qui soit vraiment historique et auquel puissent adhérer les peuples ?

Pierre Galand, Sénateur.
José Verdin, 
Directeur de la Form'action André Renard.

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