Le Ministre de la coopération s’est dit choqué par la campagne menée par l’opération 11 11 11 - CNCD.
Plutôt que de s’en offusquer, le Ministre De Decker devrait accepter de faire les comptes entre ce que son administration mais aussi beaucoup d’associations, ONG, Universités, etc., y compris l’Europe et l’ONU font pour aider les pays en voie de développement et ce que ces mêmes pays remboursent aux banquiers de la planète en intérêts pour les prêts qui leur ont été consentis dans les années ‘80 pour favoriser ce qu’on appelait “l’aide liée”.
D’abord, quelques chiffres. L’aide totale du Nord au Sud s’élevait l’an dernier à 50 milliards d’euros, soit selon les experts de l’ONU, la moitié de ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs fixés avec l’accord de tous les Etats pour lutter contre l’extrême pauvreté.
Dans le même temps, les pays lourdement endettés du Sud remboursaient au titre des seuls intérêts de leur dette, la somme astronomique de 400 milliards de dollars.
On peut se demander à quoi ont servi tous ces prêts consentis par le Nord. En général, à acheter la fidélité de dictateurs du Sud, comme Mobutu au Congo, Marcos en Indonésie, Papa Doc en Haïti ou encore à soutenir des régimes génocidaires comme celui d’Habyarimana au Rwanda et surtout à pousser les pays du Sud à acheter chez nous des équipements souvent inutiles ou inadaptés à leurs besoins de développement.
Ajoutons à cela l’un ou l’autre élément de l’aliénation des pays du Sud, telle la chute tendancielle des prix des matières premières sous la pression des bourses du Nord, le marché noir et le pillage des diamants, du coltan, de l’uranium dans les pays en guerre civile, en particulier dans l’Est du Congo, en Côte d’Ivoire, en Colombie, etc…
Si l’on calcule aujourd’hui les bénéfices engrangés par les majors du pétrole et l’argent détourné sur les contrats pétroliers et gaziers… ils sont tels que même les sénateurs américains estiment qu’ils doivent être taxés.
Deux questions se posent :
La première : qui aide qui ?
La seconde : est-il éthique de reprendre d’une main plus de dix fois ce que l’on donne de l’autre main ?
Une action internationale sans précédent doit donc être entreprise par tous ceux qui veulent un monde accueillant pour chaque enfant naissant et pour toutes les victimes du sous-développement.
Le Ministre De Decker et la Directrice générale de la DGCD, dont j’apprécie l’enthousiasme pour leur fonction, se trompent donc de cible en s’attaquant à la campagne de l’opération 11 11 11.
C’est aux ONG d’être interpellantes, impertinentes et agressives pour forcer un débat sur les corrections indispensables aux injustices criantes qui frappent tant de peuples du sud.
Il y a urgence.
On peut apprécier ou non certaines campagnes de promotion. Il ne faut pas pour autant se tromper d’ennemis et surtout de partenaire pour faire progresser la compréhension et l’entraide internationale.
Pierre GALAND, Sénateur
Ancien président du CNCD,
Ancien secrétaire général d’Oxfam.