La laïcité a-t-elle un avenir au Congo RDC ?

Quand Œuvre Coloniale et Missionnaire étaient confondues


« L’œuvre coloniale » en Afrique est indissociable de « l’œuvre missionnaire ». Combien de religieux et religieuses européens ne furent pas mobilisés pour parfaire l’ordre colonial ?
L’endoctrinement à la seule religion chrétienne décrétée,  par essence,  supérieure à toutes les autres formes ou expressions du religieux ou des diverses cosmogonies, constituait le passage obligé vers la civilisation et la culture véhiculée par le colonisateur, fut-il français, portugais, britannique, italien, espagnol ou belge.

Cet endoctrinement s’est réalisé grâce à une double capacité des églises chrétiennes. D’une part, elles se sont octroyé la quasi-totalité des fonctions d’encadrement des populations indigènes en matière d’enseignement, d’éducation, de formation, de soins de santé depuis le dispensaire de brousse jusqu’aux hôpitaux urbains, mais aussi en matière de recherche tant appliquée que fondamentale dans de très nombreuses branches scientifiques et para-scientifiques.

Les acteurs de terrain issus des églises chrétiennes étaient souvent des gens qui témoignaient de nobles idéaux et d’un intérêt réel pour les populations indigènes, rendant ainsi les services des églises incontournables et de qualité. Par ailleurs, l’ « œuvre missionnaire »  était relayée dans les métropoles coloniales par une stratégie de légitimation et de mobilisation particulièrement affinée tant dans les églises protestantes que catholiques. Le ou la missionnaire constituait une avant-garde de l’église universelle en charge de porter la bonne nouvelle. Tout au long de l’ère coloniale, cette avant-garde fut présentée tantôt comme héros d’une conquête du nouveau royaume de Dieu, tantôt comme messagers du dieu de la vraie culture, tantôt comme bienfaiteurs de l’humanité. Les légions du Christ, de Marie et de quelques saints et saintes avaient soigneusement été spécialisées aux fins de remplir les différentes fonctions découlant des nécessités de la mission sur le plan local, en terre de missions, mais aussi dans la métropole coloniale.

Une part importante du travail des officines des différentes congrégations missionnaires en métropole consistait à valoriser et vanter le mérite des missionnaires. L’objectif était de responsabiliser les chrétiens du Nord et à les entraîner dans la sponsorisation et le financement de l’ « œuvre ». Au temps de la colonie, les montants mobilisés par les églises métropolitaines pour l’ « œuvre missionnaire » valaient largement les volumes actuels de l’aide publique au développement dépensée par les Etats du Nord. Il s’agissait en quelque sorte de l’épine dorsale de toute l’œuvre coloniale : le nerf de la guerre.


Ces dernières décennies, avec le temps, la déchristianisation croissante dans les métropoles coloniales a provoqué la chute vertigineuse des candidats missionnaires en Europe occidentale. En outre, nombre de chrétiens européens ont depuis réévalué le sens de leur croyance et de la place de celle-ci au côté d’autres de par le monde. L’œcuménisme s’est accommodé ou adapté à la décolonisation. La coopération officielle, de même que l’action des ONG a pris partiellement le relais des « œuvres missionnaires ».[1]


Un sursaut africain vite retombé
Une ère de rééquilibrage en faveur d’un Etat post colonial indépendant en charge d’exercer les diverses fonctions publiques en matière de santé, d’éducation et de promotion du bien- être allait durer une quinzaine d’années après l’accès à l’indépendance des pays africains. Mal partie l’Afrique, pronostiquait au même moment l’anthropologue René Dumont dans un livre paru en 1962.  Malgré toutes les promesses et tous les discours européens  annonciateurs d’un nouveau partenariat avec l’Afrique – n’était-ce pas le sens même des accords de Yaoundé en 1963, puis de ceux de Lomé dès 1975 et enfin de ceux de Cotonou depuis 2000- l’Afrique s’enfonce. Elle est en perdition sous les coups de butoir conjugués d’élites trop souvent corrompues et perverties d’une part, et sous les ajustements structurels imposés par une communauté internationale intéressée, non au sort de ces populations, mais aux multiples richesses des forêts, des sols et sous-sols ainsi que des côtes africaines.

Face au désarroi des populations africaines, à la désespérance des plus pauvres, aux conflits multiples que génère cette déliquescence africaine – conflits sociaux, ethniques, frontaliers, guerres civiles, génocide – la communauté internationale s’émeut parfois et cherche les différentes manières, si pas de trouver des réponses aux multiples défis que posent ces situations, du moins d’en atténuer les effets dévastateurs pour l’ensemble du continent.
Différentes formules ont été envisagées parmi lesquelles des formes de remise sous tutelle de l’Afrique – une recolonisation totale ou partielle, si pas de toute l’Afrique, du moins des parties considérées comme utiles par les stratèges de la mondialisation. Parmi ces formes de remises sous tutelle, il y a la création de forces sécuritaires : doter l’Afrique d’une force multinationale africaine en charge de calmer les excès de fièvre de plus en plus nombreux. Il y a aussi le jeu des sociétés transnationales qui orientent les aides internationales vers des régions stratégiques de leur point de vue, cela aux fins de créer ainsi des îlots de prospérité protégés, de nouvelles colonies hors des frontières nationales héritées de l’ancien colonialisme.

Et puis, il y a comme au bon vieux temps la résurgence des églises. Certes, il a fallu conforter d’abord celles qui ont fait leurs preuves en assumant et contrôlant de larges pans de la vie sociale africaine. Car il y eut,  pour l’église catholique,  le très sinistre épisode du génocide au Rwanda qui entacha momentanément sa capacité d’action. Mais une dizaine d’années plus tard, face au sous-développement et aux situations chaotiques qui secouent le continent,  c’est à nouveau à ces églises et aux nouvelles religions, toutes sectes confondues, que les maîtres du monde font appel pour assurer un semblant de contrôle social sur les populations africaines. Les formes varient, car si les anciens modèles de chrétienté ont encore un rôle à jouer, particulièrement en Afrique subsaharienne, ce sont les nouveaux modèles chrétiens, en provenance de la nouvelle métropole coloniale, à savoir les Etats-Unis, qui ont la cote notamment au Congo RDC, sous la forme des églises du réveil. Il s’agit de sous-produits des églises protestantes et baptistes nord-américaines, oeuvrant sous des formes adaptées certes, mais finalement très proches de l’œuvre missionnaire d’antan.  Les méthodes de ces évangélistes africains des temps présents ont été testées et appliquées depuis de nombreuses années dans les pays du continent centre et sud-américain. Là-bas, encouragées par les USA, elles se sont érigées en concurrentes directes de l’église de Rome. En Afrique, la situation est plus complexe. Car si l’église catholique a eu 500 ans pour s’installer avec les conquistadors et leurs descendants en Amérique latine, en revanche, en Afrique, elle n’a essentiellement été qu’une religion de la colonisation et des colons. Cela paraît particulièrement évident en Afrique du Nord, mais ce l’est aussi en Afrique subsaharienne. Les églises coloniales ont ainsi été fragilisées face à l’extension de l’Islam, face aussi au retour des Africains aux croyances ancestrales et enfin, plus récemment, face aux religions importées des Etats-Unis.


Et demain
Dans ce contexte, la laïcité a-t-elle un avenir en Afrique subsaharienne et plus particulièrement en RDC ? Poser la question aujourd’hui constitue déjà un progrès, car après les efforts tentés par le ministre belge des Colonies  Auguste  Buisseret en 1954 pour doter le Congo d’un réseau d’enseignement public, trop peu de gens se sont souciés d’assurer la pérennité de cette initiative. L’enseignement public fut ainsi dilapidé par le régime Mobutu. Faute de vouloir consacrer des financements publics à l’éducation, Mobutu remit les écoles publiques au réseau des enseignants religieux.

Trop peu de personnes également ont jugé utile de s’occuper sérieusement de répondre aux appels lancés par des intellectuels congolais soucieux de transposer dans la réalité et le contexte congolais les valeurs et les principes de la laïcité qu’ils avaient appris à connaître durant leurs études, particulièrement à l’ULB.

Au sein des partis politiques qui chez nous relayaient les préoccupations de la laïcité, rares sont ceux qui ont pris conscience de ces enjeux sans doute trop lointains. Pourtant ils ont des effets directs sur l’ensemble de nos sociétés et de leurs évolutions.

Hors A. Buisserret, peu de ministres de la Coopération belge ont réellement contribué au travers de l’aide publique au développement à la défense ou la promotion d’une coopération laïque.

Et donc, ce sont en quelque sorte des pionniers qui ont entrepris voici quelques années, au travers de différents canaux de l’action laïque, de renouer des contacts via l’ULB et l’Union des anciens, ou encore via des ONG de l’ULB tels le CEMUBAC ( Centre Médical et Scientifique de l’ULB pour ses activités de coopération) ou le SLCD (Service laïc de coopération au développement).

Sans en faire le panégyrique, je voudrais mettre en évidence un partenariat particulièrement actif et intéressant car il témoigne sans nul doute d’une activité qui a valeur de symbole en matière de coopération pour la promotion de l’action laïque en Afrique centrale. En 1991,  à Kinshasa, était créé Humanisme et Solidarité (H&S) , ASBL laïque de droit congolais. Il s’agissait d’une flamme allumée au sein d’une masse d’associations pour la quasi-totalité d’obédience religieuse. Répondant à cette initiative congolaise, à Bruxelles, Jean-Pierre Beernaerts créa, au sein du CAL, Laïcité et Humanisme en Afrique Centrale (LHAC). Il s’agissait non pas de créer une ONG de plus mais bien de répondre fraternellement à un appel des Congolais d’Humanisme et Solidarité soucieux de leur rayonnement de laïcs au sein de leur propre société. Ce partenariat, comme l’explique plus en détail un exposé plus factuel sur l’action et les réalisations de coopération entre H&S et LHAC, a pris forme et se décline aujourd’hui de trois manières qui toutes portent sur l’éducation pour tous, accessible à tous et  toutes. Cette mission  devra être assumée à terme par l’Etat congolais reconstruit.

Impensable il y a 7 ans, ce projet a pris forme, a pu se faire connaître, reconnaître par l’autorité publique et respecter par tous. Il est même devenu une référence telle que déjà il a permis des démultiplications, non seulement à Kinshasa mais aussi à Lubumbashi. Des contacts et des échanges exploratoires ont lieu avec d’autres villes du pays, Matadi, Kisangani mais aussi au Burundi.

Compte tenu des projets qui sont portés par les programmes de construction ou de reconstruction d’écoles publiques laïques par les actions de formation d’enseignants et de formations de formateurs, par les échanges pédagogiques et les jumelages, le partenariat entrepris par H&S et LHAC constitue une avant-garde laïque dans le contexte général de la RDC. Il n’empêche que l’expérience de partenariat vécue aujourd’hui est bien plus qu’une simple promesse. Ce sont des actions concrètes qui servent de base durable pour une stratégie originale de déploiement de la laïcité en Afrique centrale.


Pierre Galand,
Sénateur
Président de LHAC

21 novembre 2005


[1] En Europe, plus de 80% des ONG émargeant des subventions de l’UE pour la coopération sont d’origine chrétienne.

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