La prison est inhumaine : que fait le gouvernement

Centre d'action laïque, Bruxelles laïque, Service laïque d'aide aux justiciables, Fondation pour l'assistance morale aux détenus

La presse a fait écho, dans ses éditions de samedi, aux projets du ministre de la Justice Jo Vandeurzen en ce qui concerne les prisons.
Oui, les conditions de vie des détenus et la vétusté des lieux de détention sont inacceptables. Mais les solutions proposées sont, elles, beaucoup plus discutables. Le mouvement laïque plaide pour une vision humaniste de la politique judiciaire.

Alors que la déclaration de politique générale du ministre proposait la recherche d'alternatives à l'emprisonnement, on constate aujourd'hui le renforcement de la répression, au détriment d'une politique sociale de prévention agissant sur les causes de la délinquance.
En effet, la priorité principale, « le maillon final – et essentiel – de la chaîne pénale », est clairement désignée : « Le plus urgent concerne l'exécution des peines ».
Celle-ci nécessitera, selon la déclaration de politique générale et les récentes déclarations de M. Vandeurzen, de réduire la pression due à la surpopulation carcérale.

Mais celle-ci constitue effectivement une vraie préoccupation – pointée depuis longtemps par nos associations comme cause de bon nombre de situations inacceptables en prison –, les dispositions annoncées par le ministre ne nous paraissent en mesure ni de réduire la densité de la population carcérale ni de résoudre les problèmes qui en résultent.
Nous attirons l'attention sur le fait que cette surpopulation relève principalement de trois facteurs : un fort taux de détention préventive (représentant un tiers de la population carcérale), un ralentissement des libérations conditionnelles, ainsi que l'allongement des durées de peine prononcées par les juges.

Or, sans une politique de responsabilisation et d'autonomisation des justiciables, ces mesures ne réduiront pas la violence faite aux personnes dans notre société.
L'incohérence de la politique annoncée se révèle notamment dans l'instauration d'une « durée de peine minimale ». L'établissement de cette peine incompressible qui ne dit pas son nom vient modifier la compétence des tribunaux d'application des peines (qui n'existent pourtant que depuis 2007) et ne tient aucun compte du parcours personnel ultérieur du justiciable incarcéré ni de sa famille. Le juge pourra déterminer d'avance un temps de peine (entre un et deux tiers), qui ne pourra faire l'objet d'aucune remise, ni d'aucune alternative à l'enfermement pur et simple. Notons au passage que cet aspect, sans doute parmi les plus inadéquats de la politique ministérielle, est le seul pour lequel un calendrier précis est établi.

Nous nous réjouissons que le ministre reconnaisse que les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires surpeuplés sont inacceptables. Ce problème nous semble cependant requérir une réflexion plus poussée. L'enfermement cause tant de dommages à la personne incarcérée et à ses proches en termes de désorganisation sociale, de précarisation économique, de stigmatisation, d'isolement et de rupture du lien, qu'il paraît bien trompeur de prétendre réaliser des conditions de détention « sûres et humaines », tout autant qu'une réinsertion sociale réussie – dont il n'est d'ailleurs pas question dans le texte du ministre.
Si la déclaration ministérielle annonçait le renforcement des mesures alternatives à la détention, la rénovation et l'extension des prisons, ce n'est manifestement pas dans un but d'humanisation, mais seulement dans l'espoir de réduire la surpopulation. Or on peut parier que l'attention particulière portée aux « incivilités » (qui ne sont nulle part définies) et à la « petite criminalité » sera propice à la création de nouveaux petits délits, donc à de nouvelles peines et à l'augmentation de la population carcérale. Ce qui viendra confirmer le constat notoire selon lequel une prison est pleine comme un ½uf à peine construite. Ce n'est donc pas en construisant plus de cellules qu'on diminuera la population carcérale.

Par ailleurs, il est paradoxal que le ministre évoque des conditions de détention « sûres et humaines » et reste muet quant à la poursuite de la mise en oeuvre de la toute récente « loi de principe concernant l'administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus » (dite loi Dupont), si ce n'est pour la remettre en question ou renforcer ses aspects sécuritaires et, par là, en diminuer la portée humaniste. Si le calendrier est établi quant à l'instauration de « peines incompressibles », rien n'est dit quant à la nécessaire parution de nouveaux arrêtés d'application de cette loi essentielle, pourtant publiée au Moniteur belge depuis le 1er février 2005.
Parmi les mesures regrettables, on épinglera que le ministre entend agglomérer dans un paquet unique la « délinquance des jeunes jusqu'à 25 ans ». De la sorte, il fait porter la même responsabilité juridique et pénale à un enfant de 12 ans et à un jeune adulte de 25 ans. Nous voyons dans cette option la démission et la déresponsabilisation des adultes, de l'Etat et de la société tout entière à l'égard de sa jeunesse et du monde de l'enfance dont les limites ne sont plus identifiées. Ceci que confirme la volonté d'augmenter la capacité d'enfermement des enfants, dans des centres du type de celui Everberg par la création de cellules supplémentaires. Enfin, le ministre affirme vouloir « investir dans la prévention », mais n'en donne toutefois aucune définition, n'y consacre aucun chapitre dans sa déclaration et n'en détaille aucune mesure précise.

Nous souhaitons rappeler que de nombreux acteurs de terrain sont en contact quotidien avec la réalité carcérale et, par conséquent, à même de faire des propositions concrètes en faveur d'une politique judiciaire à visage plus humain.

Le Soir – 23 avril 2008

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