FMI, Banque mondiale : une crise émancipatrice pour le Sud ?

Carte blanche de Pierre Galand Sénateur PS, auteur d'une proposition de résolution sur « la politique de la Belgique concernant la réforme de la gouvernance et des politiques de la Banque mondiale et du FMI »
Le Soir, 29 septembre 2006

Les 19 et 20 septembre derniers, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale se sont réunis à Singapour pour leurs assemblées annuelles. A l'ordre du jour, notamment, la décision du conseil d'administration du FMI de revoir à la hausse les droits de vote de certains pays dits émergents, notamment la Chine, le Mexique, la Turquie et la Corée du Sud. Il s'agit cependant d'ajustements mineurs qui ne mettent pas en péril la mainmise des pays riches sur cette institution, et en particulier celle des Etats-Unis, dont la quote-part de 17 % permet de bloquer tout projet de réforme leur déplaisant.

Par ailleurs, cette pure opération de marketing ne peut faire oublier la crise profonde dans laquelle sont plongés le Fonds monétaire et la Banque mondiale. Celle-ci est double.

Tout d'abord, ces deux institutions font face à un déficit de légitimité croissant, qui trouve son origine en grande partie dans leur bilan socio-économique désastreux dans les pays en développement.

En effet, toutes les régions du monde qui ont rigoureusement appliqué les politiques d'ajustement préconisées par le Fonds et la Banque mondiale (austérité, privatisation, libéralisation) ont enregistré une augmentation de la pauvreté absolue durant les années 1990 : Afrique subsaharienne (74 millions d'indigents supplémentaires), Amérique latine (9 millions supplémentaires) et ex-bloc soviétique (20 millions supplémentaires).

Les institutions financières internationales, et en particulier le FMI, ont également été fortement décriées pour le rôle qu'elles ont joué dans l'émergence des nouvelles crises financières qui ont déferlé durant les années 90 - Mexique en 1994, Asie de l'Est en 1997, Russie en 1998, Brésil en 1999, Argentine en 2000. En promouvant la libéralisation précoce de la balance des capitaux de nombre d'économies émergentes, le Fonds a en effet rendu ces dernières très vulnérables aux cycles d'expansion et de récession des flux de capitaux.

Cela dit, les problèmes qui affectent actuellement les institutions financières internationales ne tiennent pas seulement à la remise en cause de leurs prescriptions en matière de libéralisation du commerce, des investissements et de la finance.

Elles font aussi face aujourd'hui à une crise budgétaire. Pressés de s'affranchir de la tutelle du FMI, plusieurs Etats débiteurs - dont le Brésil, l'Argentine, l'Indonésie et bientôt le Mexique et l'Uruguay - ont en effet décidé de rembourser de manière anticipative leurs dettes.

Ce qui représente un manque à gagner considérable pour une institution qui tire précisément son budget des intérêts et des commissions sur les prêts qu'elle accorde aux pays en difficulté.

La Banque mondiale n'échappe pas non plus à cette tendance : de nombreux pays pauvres n'hésitent plus à la contourner, préférant contracter des prêts auprès de pays émergents, et en particulier auprès de la Chine, qui s'est imposée comme principal créancier mondial.

Cette montée en force des économies émergentes est due à une conjoncture internationale à leur avantage.

Elles ont en effet accumulé des réserves de change considérables grâce à la conjonction de trois facteurs :

1. La hausse des prix du pétrole, de quelques matières premières (en particulier le cuivre et l'aluminium) et de certains produits agricoles.

2. Le coût dérisoire de la main-d'oeuvre, qui procure à ces pays un avantage comparatif dans la nouvelle division internationale du travail.

3. La réduction de la « prime de risque » et la baisse des taux d'intérêt internationaux, qui leur ont permis de recourir à nouveau aux marchés financiers et de rembourser le FMI.

Face à cette nouvelle donne, une question centrale se pose aujourd'hui : la perte d'influence que connaissent actuellement le FMI et la Banque mondiale ferait-elle place à l'émergence dans le Sud de politiques socio-économiques qui divergent de l'approche néolibérale jusqu'à présent imposée par ces institutions ?

Pour l'instant, le débat reste ouvert. Certains signes semblent répondre à cette question par l'affirmative. Ainsi, par exemple, certains pays d'Asie du Sud-est, via l'initiative de Chiang-Maï, ont récemment décidé de mettre en commun une partie de leurs devises, afin de se protéger contre une éventuelle attaque spéculative sur une monnaie régionale.

Il s'agit d'une perte de pouvoir dans le chef du FMI qui ne pourra plus imposer ses conditions en cas de crise financière dans cette région.

Cela étant, d'autres éléments semblent plutôt indiquer l'idée d'un maintien du modèle néolibéral dans le Sud.

Tout d'abord, il faut rappeler que les institutions financières internationales conservent l'ascendant sur les pays les plus pauvres, en raison du poids de leur dette extérieure.

Deuxièmement, on peut constater qu'un certain nombre de pays émergents (tels l'Argentine et le Brésil) - qui avaient justifié leur remboursement anticipé auprès du FMI par la volonté de retrouver leur liberté d'action - ont en fait maintenu une orientation économique en phase avec les prescriptions de ce dernier. Cela se traduit notamment par l'absence de contrôle sur les changes et mouvements de capitaux, le maintien de taux d'intérêt très élevés, ou encore l'investissement des réserves de changes sous forme d'achats de bons du Trésor des Etats-Unis ou de pays d'Europe occidentale, et cela, aux dépens de dépenses sociales ou d'investissements.

Quoi qu'il en soit, il apparaît clairement que le contexte actuel - conjoncture économique favorable combinée à la perte d'influence de la Banque mondiale et du FMI (sans parler du blocage des négociations à l'OMC) - offre une plus grande marge de manoeuvre aux pays en développement en matière de politique économique.

C'est l'avis notamment d'Eric Toussaint, président du Comité pour l'annulation de la dette du tiers-monde (CADTM). Selon lui, ces pays devraient saisir cette occasion inédite pour mettre en commun une partie de leurs réserves de change et constituer un ou des organismes financiers communs. Cela pourrait par exemple prendre la forme d'une Banque du Sud, chargée d'assurer le financement de biens publics, et d'un Fonds monétaire du sud, ayant pour fonction de protéger les pays contre des attaques spéculatives et les aider en cas de problème de liquidité pour réaliser leurs échanges.

Tâches auxquelles le FMI et la Banque mondiale ont jusqu'à présent failli.

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