Après 50 ans de promesses non tenues, c'est avec tambours et trompettes que le G 8, sommet des nations les plus riches de la planète, s'est une nouvelle fois, en juin dernier à Gleneagles, engagé à prendre des mesures censées sortir les pauvres du marasme dans lequel ils croupissent.
Ce sont les mêmes recettes qui sont à nouveau proposées pour les en sortir, à savoir des "Ajustements". Pour rappel, les ajustements structurels ont été mis au point dans les années 80 par le Fonds monétaire international (FMI) pour rétablir la capacité de paiement des pays pauvres lourdement endettés par des prêts financiers censés les développer. Cela s'est traduit le plus souvent par la construction de ce que l'on a appelé les "éléphants blancs" (de gigantesques travaux généralement inutiles), mais aussi par la réduction du nombre d'écoles, de centres de santé, d'équipements collectifs accessibles à tous.
Prudents ou cyniques, les pays riches ne s'engagent toutefois plus à supprimer la pauvreté. Bien que six fois plus riche qu'elle ne l'était en 1950, la communauté internationale s'est prudemment engagée cette fois à réduire de moitié l'extrême pauvreté...
Cela signifie que nos grands argentiers vont tenter de sortir de la misère extrême 600 millions de malheureux tout en annonçant par avance être désolés de ne pouvoir en faire autant pour les 600 autres millions. Leur ambition est clairement limitée puisqu'ils vont sortir ce premier groupe de l'extrême pauvreté pour le hisser au rang des "pauvres". Les extrêmement pauvres vivent avec maximum 1 dollar US par jour, les pauvres, eux, vivent avec 2 dollars par jour. Pauvres et extrêmement pauvres représentent 2,4 milliards d'êtres humains sur notre planète.
Puisque les experts ont estimé que pour atteindre ce très noble et ambitieux objectif, le minimum était de consacrer 0,7pc du produit national brut des pays riches à l'aide au développement, les responsables politiques les plus riches y sont tous allés de leurs audacieuses propositions.
C'est ainsi que les Etats-Unis ont proposé de glisser au titre d'aide une part non négligeable de leur engagement en Irak et en Afghanistan. Les Européens et les Etats-Uniens n'hésitent plus à compter les annulations de dettes - fussent-elles odieuses, comme lors du génocide au Rwanda - au titre de l'aide publique au développement. En outre, la plupart de ces dettes résultent de l'aide liée à des achats dans les pays "donateurs", et ce peu importe que ces achats aient ou non un effet pour le développement du pays dit "receveur".
Aujourd'hui, les experts des Nations unies se veulent optimistes et souhaitent notamment faire accroire que grâce à la croissance chinoise et indienne, nous serions sur la bonne voie. Ils additionnent l'augmentation de la richesse de la Chine et de l'Inde et la divisent par le nombre impressionnant d'habitants de ces deux sous- continents. Mais l'augmentation de la richesse en Chine comme en Inde est réservée en fait à une minorité de la population. Donc, un discours volontariste mais faux prétend par quelques "mesurettes" atteindre des résultats en termes de lutte contre la pauvreté.
Et c'est avec ce discours que tous les hauts responsables de la planète se rendront à New York, à l'Assemblée générale des Nations unies, en ce mois de septembre 2005. Discours convenu destiné à assurer le monde et eux-mêmes de leurs bonnes intentions. L'échec de quatre décennies du développement depuis la fin du colonialisme ne semble pas les impressionner. Ils recourent une fois encore aux mêmes artifices pour camoufler leur incurie ou, pire, leur volonté de statu quo. Aujourd'hui, le sort des populations de ces pays décolonisés est nettement moins enviable que ce qu'il était voici 40 ans! C'est donc le désenchantement qui prévaut au Sud à la veille de l'Assemblée générale des Nations unies de septembre.
Certains s'en inquiètent car la misère au Sud et la précarité croissante au Nord constituent effectivement un dangereux système d'exclusion planétaire. Les fabuleuses richesses qui continuent d'être produites par les hommes sont de plus en plus réservées à une caste de mandarins de l'économie financière. Et pourtant, ce sont leurs représentants qui prétendent aujourd'hui vouloir engager avec les Nations unies un vaste programme de huit Objectifs de Développement pour le Millénaire visant d'ici 2015 à éradiquer de la planète la moitié de l'extrême pauvreté et ses effets pervers: faim, illettrisme, inégalité des sexes, mortalité infantile, maladies et pandémies telles VIH/sida-paludisme, destruction de l'environnement, sous-développement.
Leurs déclarations, même si elles se veulent empreintes de sincérité, sont vouées à l'échec pour plusieurs raisons, que l'on peut regrouper en trois catégories.
La première: le modèle de croissance et d'accumulation des richesses est fondé sur des mécanismes qui excluent la répartition de celles-ci au profit du plus grand nombre. Les Etats-nations, privés au cours de ces 25 dernières années des attributs leur permettant d'assurer dans la continuité un plus grand bien-être social, ont dû concéder au marché, et à lui seul, le rôle de régulateur de l'économie tant locale que planétaire.
La deuxième catégorie d'arguments relève de l'incapacité de la communauté internationale de sortir du concept du développementalisme. En bref, il s'agit de croire et de faire croire que l'unique modèle économique de référence est le nôtre. La seule manière de se développer serait d'entrer ou de se soumettre au modèle de l'économie de marché. L'aide au développement n'est de ce fait, encore et toujours, qu'une assistance au rattrapage au sein du modèle économique. Or, tout le monde sait ou pressent que le modèle consumériste et militariste de type nord-américain constitue un risque de déséquilibre planétaire pour les générations présentes et à venir.
La troisième catégorie d'arguments relève de la sphère civile, culturelle et sociale. L'humanité, c'est d'abord l'ensemble des groupes humains, riches d'histoire, de différences et d'expériences diverses tant en termes d'organisation politique que sociale. Croire que l'on peut imposer au monde entier un seul modèle reposant sur la suprématie de l'économie est une forme de dictature, de tyrannie vis-à-vis de laquelle les peuples se sentent maltraités. A nouveau, une telle situation provoque des réactions, les unes de révolte, les autres de résistance.
Alors, comment faire pour sortir du ghetto de l'orgueilleuse civilisation de l'économicisme?
Une des pistes me semble être celle des Nations unies. Leur création reposait sur trois piliers: les droits de l'homme, le développement et le désarmement.
Comment combattre le surarmement alors qu'aujourd'hui, pour assurer leur suprématie, les Etats-Unis consacrent annuellement près de mille milliards de dollars à l'armement et à la recherche technologique en matière d'armement et de "guerre des étoiles"? Les cinq membres du Conseil de sécurité n'assurent-ils pas leur statut et leur suprématie en étant les champions toutes catégories de la production et du commerce des armes?
Ce qui manquera le plus lors du débat sur la mise en oeuvre des Objectifs du Millénaire pour le Développement et sur la réforme des Nations unies, ce sera la volonté contrôlée d'oeuvrer pour la paix par le désarmement et la reconversion même partielle des budgets de la défense à des fins de coexistence pacifique. Dans les années 80, un vaste mouvement pacifiste ébranla un temps les plans de confrontation nucléaire entre les deux grandes puissances de l'Est et de l'Ouest. Il y a urgence de relancer un vaste mouvement pacifiste pour contrer les velléités bellicistes et de confrontation Nord-Sud au nom de la lutte antiterroriste.
Créer des dividendes de paix, n'est-ce pas là la priorité des priorités de toute réforme de l'Onu pour son 60e anniversaire?