L'Echo-Actualités (2005-2006), 14 décembre 2006, page 14
Proche-Orient
Il y a le camp du pessimisme, du catastrophisme, où l'on craint la confrontation inévitable entre Israël et la Palestine, mais aussi d'Israël avec ses autres voisins, en ce compris l'Iran. Dans ce camp-là, on redoute l'inévitable guerre civile en Palestine, au bord du gouffre.
Les tenants du pessimisme ont des arguments, car en Israël il n'y a pas de projet politique et le pays est conduit par un Premier ministre très à l'écoute, avant tout, de la meilleure manière de se maintenir au pouvoir. à ses côtés, l'armée, après l'échec au Liban en août dernier, a une revanche à prendre. Peu lui importe que ce soit au Liban (ce qui n'est pas le cas pour les pays membres de la Finul, à laquelle ne participent pas les USA), en Syrie ou en Irak. Le ministre de la Défense Amir Peretz a perdu ses marques, si tant est qu'il n'en ait jamais eu. Il semble sur un siège éjectable, dans son parti et au gouvernement. Les intérêts de l'armée et d'Ehud Olmert sont en bonne partie contradictoires et pour l'instant, c'est Ehud Olmert qui a le dernier mot. C'est lui qui a décrété le cessezle-feu à Gaza.
En Palestine, le torchon brûle entre Mahmoud Abbas, le président, et le Hamas. Chaque camp a ses oiseaux de malheur et cela s'exprime par le désaccord sur les noms des ministres du futur et hypothétique gouvernement d'Union nationale.
Ce projet de gouvernement d'union, initié suite à l'appel des prisonniers dont Marwan Barghouti, est rejeté par une partie du Fatah et a ses détracteurs au sein du Hamas. Il est considéré comme la solution du bon sens par une très large majorité de l'opinion publique et de la société civile palestinienne. Le bon sens, c'est qu'il faut restaurer l'unité palestinienne pour affronter et rencontrer l'occupant israélien et obtenir le retour à un processus de paix. Ce processus, Ehud Olmert le souhaite aussi, sans toutefois vouloir aller au-delà d'une phase intermédiaire. Alors que pour les Palestiniens, il ne peut s'agir que d'un mécanisme global avec une solution globale et définitive, c'est-à-dire incluant la reconnaissance des frontières de 1967 comme limites entre deux états, israélien et palestinien, vivant côte à côte avec Jérusalem comme capitale des deux états.
Toute relance du processus de paix ne peut se faire que moyennant:
- un cessez-le-feu à Gaza, mais aussi en Cisjordanie;
- la libération des prisonniers;
- une conférence internationale qui relance le processus de paix, ayant un contenu et des échéances précises. Le contour du processus existe et ses prémices peuvent être la résolution de Beyrouth de 2002, proposition de la Ligue arabe, les propositions Baker et Hamilton, la proposition Zapatero (Moratinos), soutenue par l'Italie et la France, les propositions Carter.
Malgré un ciel chargé et un horizon apparemment bouché, quelque chose a changé, et dans les deux camps, des analystes sérieux s'accordent pour dire qu'une embellie serait possible pour autant que le cessez-le-feu à Gaza, qui tient depuis trois semaines, soit suivi d'autres accords, tels un cessez-le-feu en Cisjordanie.
Pour l'équipe autour du Président, maladroitement soutenue par les états-Unis, on croit pouvoir faire monter les enchères en avançant une proposition de retour aux élections, mettant dans la balance tant des présidentielles que des législatives. L'équipe en a-t-elle les moyens ou n'est-ce qu'un effet d'annonce pour forcer le gouvernement Hamas à accepter un gouvernement d'union nationale?
Pour le président Mahmoud Abbas, que j'ai rencontré ce dimanche 11 décembre à Ramallah, c'est semble-t-il le cas, car il maintient comme priorité l'établissement d'un gouvernement d'unité nationale. Il sait être soutenu sur le plan international dans le monde arabe, en Europe et même aux états-Unis. Il craint une guerre civile qui signerait l'échec de sa politique et représente un risque de vide du pouvoir de l'Autorité palestinienne.
Un jeu sérieux se joue donc et chacun des acteurs israéliens et palestiniens (multiples dans les deux camps) sait qu'il lui manque trop de cartes dans son jeu pour l'emporter en dictant une solution.
Il existe un espace réel pour des interventions extérieures mesurées. Cela veut dire éviter à tout prix de stigmatiser et diviser les intervenants potentiels des deux camps entre l'axe du bien et celui du mal. Parce qu'au-delà du conflit israélo-palestinien se vit une situation régionale, aléatoire et instable, qui inclut le Liban, la Syrie, l'Iran, l'Irak.
Il existe une place pour une action diplomatique de l'Europe. C'est en le comprenant que Georges W. Bush a fait appel à son ami Tony Blair. Reste à espérer que l'Europe sera capable, après le sommet euro-méditerranéen de Tempere et le non-événement du sommet de l'Otan à Riga, d'avancer quelques propositions, en vue de la préparation d'une conférence internationale «Madrid bis».
Chaque pays européen peut activer sa diplomatie dans le pourtour euro-méditerranéen, aux états-Unis, à l'Onu et à Moscou, avec des propositions pour apaiser les tensions et progresser vers une solution définitive du conflit palestinien par la reconnaissance d'un état viable de Palestine. C'est essentiel car cela peut être la clef de voûte pour la solution de nombreux autres problèmes dans la région et pour aboutir à la construction d'un espace euro-méditerranéen de sécurité, de paix et de coopération économique, sociale et culturelle.
Un responsable israélien du mouvement Peace Now, ancien député du Meretz et animateur d'une radio israélo-palestinienne à Jérusalem, concluait un échange avec notre délégation par un proverbe israélien qui, par analogie avec nos proverbes, dit : «C'est quand la nuit est la plus noire que pointe l'aurore.» r
Pierre Galand,
sénateur,
président du Comité européen de coordination des ONG sur la question de Palestine (CECP)