La politique belge des relations extérieures, lorsqu’il s’agit de l’Afrique Centrale, s’est caractérisée ces quinze dernières années par une particulière inconsistance et incohérence dont les conséquences ont été tragiques, meurtrières, et criminelles. Il est dès lors inconcevable qu’un ministre belge, quel qu’il soit, se rende dans l’un de ces pays avec la conviction affichée que l’unique intérêt de la Belgique serait d’ordre humanitaire et que là résiderait la nouvelle spécificité de notre « relation spéciale » à ce sous continent. (1)
J’imagine mal le ministre allemand des Relations extérieures tenir pareil discours à la veille de se rendre en Israël.
Monsieur De Gucht croit-il pouvoir effacer de la mémoire congolaise, outre le soutien permanent à la dictature mobutiste, le sabotage de L.D. Kabila, l’appui aux forces déstabilisatrices du Congo ; croit-il pouvoir faire comme si la Belgique n’avait aucune responsabilité dans le génocide au Rwanda , dans l’appui au repli en territoire congolais de l’ex-armée rwandaise et des interamwés (milice hutu)en 1994. Ou encore faire comme si entre 1998 et 2003 les trois millions et demi de morts dans l’Est du Congo n’avaient rien à voir avec de mauvais choix de stratégie politique dans la région par les pays occidentaux dont la Belgique. Bien entendu ce bilan n’est pas le sien. Mais il est trop simple dès lors, à la veille d’un déplacement en R.D.C., de déclarer : « c’est la responsabilité des dirigeants congolais de montrer qu’ils sont en position de relever le défi ».
Des leçons, toujours des leçons, c’est là que le bât blesse ou pire que les Africains se révoltent contre une approche encore imprégnée d’une vision d’un autre âge dans nos relations bego-africaines.
Une erreur due à la stupidité d’un service, s’agissant de la fausse note biographique remise aux journalistes dans l’avion du ministre De Gucht en route pour Kinshasa, prend alors tournure de médisance et d’une grave erreur diplomatique. Faire état du choix belge d’un « gouvernement de large coalition d’union nationale » (2) pour le Congo, avant même les élections, ne relève-t-il pas de la plus stricte ingérence ?
Monsieur De Gucht revendique avec insistance être le seul à conduire la politique belge des Affaires étrangères (3). Ce faisant, il commet une triple erreur. La première : il ne peut oublier la déclaration gouvernementale de juillet 2003 qui définit l’accord de gouvernement entre les partis de la coalition. Celui-ci stipule qu’il « accordera une importance particulière à l’Afrique et octroiera une assistance spécifique aux initiatives régionales de développement telles que le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Le gouvernement belge continuera quoiqu’il advienne à accorder une priorité à l’Afrique centrale ». Partenariat et priorité auraient-ils échappé à l’attention de Monsieur De Gucht ?
La deuxième : Monsieur Verhofstadt, au lieu de s‘attaquer au journal Le Soir qui a eu le mérite dès le 17 février de jouer les démineurs au sujet de la note déplacée à l’égard du Président J. Kabila, devrait amener son ministre des Relations extérieures à s’entendre avec les autres responsables du gouvernement ainsi qu’avec l’ensemble des acteurs indirects qui coopèrent avec le Congo (universités, entreprises, syndicats, ONG, églises, etc…)
La troisième et non des moindres : notre pays s’est organisé y compris en matière de relations internationales et de commerce extérieur sur base régionale. Le Ministre De Gucht pourrait s’en inspirer lorsque l’on observe la qualité et la continuité du partenariat engagé par la Communauté Wallonie-Bruxelles dans la région des Grands Lacs.
En conclusion, même ces trois niveaux de nos relations seraient inopérants s’ils ne s’articulaient pas harmonieusement avec les échelons européens onusiens et interafricains de la coopération.
Il n’appartient donc pas à Monsieur De Gucht seul de décider de la politique africaine de la Belgique, il lui appartient encore moins de décider seul de réorienter la politique étrangère belge et d’annoncer, comme il le fit fin janvier 2005, le désengagement belge au Congo au bénéfice d’un nouvel horizon belge en Asie.
Ce serait une erreur magistrale, une de plus de la part du ministre, que de croire que l’Afrique n’aurait droit qu’à de la compassion humanitaire.
Il fut un temps où de grands esprits, des capitaines d’industries, la fameuse expertise africaine de la Belgique, furent en mesure de faire du bassin congolais un centre économique florissant et d’assurer au Congo une place stratégique en Afrique, place dont notre pays fut l’un des principaux bénéficiaires. Il n’est pas déraisonnable de vouloir coopérer à la réhabilitation de ce Congo, c’est même un devoir compte tenu des engagements pris par la Belgique dans le cadre des Objectifs du Millénium pour le Développement.
Le Sénat, d’abord en commission des Relations extérieure, de Coopération et de Défense, ensuite en séance plénière, s’est penché durant quatre mois sur la situation en Afrique Centrale avant d’adopter un important rapport proposant de nombreuses mesures permettant d’engager une coopération et des relations dynamiques avec ces pays. Le Ministre l’a-t-il lu ?
Pierre Galand, Sénateur P.S.
Vice-Président de la Commission des Relations Extérieures
Le 20/02/05
Carte blanche de K. De Gucht, Le Soir du 14 février 2005
Dans Le Soir du 16 février 2005.
« La politique étrangère de la Belgique, c’est moi qui la définis… J’ai le droit de dire ce que je pense, d’autant plus que je suis convaincu que j’ai raison. », dans Le Soir du 18 février 2005.