D’origine chrétienne, sorti de l’UCL, comment en êtes-vous arrivé à adhérer à la laïcité et à la laïcité philosophique ?
Pierre Galand : Le doute est intervenu durant mes études à Louvain qui, à l’époque, était une université de grande ouverture, puisqu’on y étudiait le marxisme, ce que l’on ne faisait pas à l’ULB au même moment. Comme je faisais de la philosophie et des sciences politiques, j’ai abordé la question du marxisme. J’y ai côtoyé une série de gens assez extraordinaires, les théologiens de la libération, l’école de Medellin. Ils mettaient en cause les structures de l’Église catholique, son rôle social particulièrement en Amérique latine. Il s’agissait par exemple de Camillo Torres, un prêtre membre du mouvement de libération en Colombie, mort au combat dans la lutte de libération. Tout ceci m’a amené à m’interroger sur la signification de cette université catholique : je ressentais cela comme des contradictions entre un discours et un vécu, qui malgré la belle époque de Jean XXIII, va m’amener à m’interroger sur la nature de ce catholicisme, la croyance en Dieu, et sur Dieu. Ce qui me révolte aussi, c’est une université bourgeoise. Donc je vais faire un petit détour et à Louvain même, je fréquente l’institut Cardijn. Je croyais aller vers les ouvriers mais c’est l’ouvriérisme que je rencontre, et je vais revenir vers une formation plus technique, des études d’économiste. Mais mon choix était de devenir agnostique alors que je sortais d’une famille catholique. C’est à ce moment que je décide de faire le pari de Pascal à l’envers. Je parie que Dieu n’existe pas.
Quel est le lien entre votre engagement pour Oxfam et la laïcité ?
À Oxfam, je me suis rendu compte de ce qu’étaient les pratiques du monde catholique dans sa périphérie, comment l’Église structurait ses campagnes, que ce soit en Amérique latine ou en Afrique. C’était un combat contre la montée du marxisme en Amérique latine et contre toutes les tentatives du nationalisme africain. Cela m’a convaincu que cette Église était un instrument de combat pour s’imposer dans des lieux où elle avait la capacité d’activer tous ces réseaux de missionnaires, et de jouer un rôle de béquille dans ces sociétés-là.
En quoi la laïcité est-elle un combat aujourd’hui ?
Ce qu’on voit dans le monde, c’est la montée du religieux, un religieux non pas dans le sens d’une option philosophique, mais du religieux en tant que manipulation par des sectes et également par les religions organisées et reconnues. C’est un combat d’influence, une conquête d’espace et de terrain où il y a vraiment un combat qui repose sur la pauvreté des gens et sur leur sécurité, sur leur manque de vision : où va-t-on, quel est leur avenir en tant qu’êtres humains ?
On dit que le christianisme est devenu sociologique, c’est faux. Les gens veulent être sûrs que l’Église est toujours là pour le cas où ils en ont besoin. Ils veulent être sûrs qu’à la naissance, au mariage, et à la mort, l’Église sera là pour leur garantir leur visa pour l’avenir. Cela est toujours présent et se décline de multiples façons selon que l’on est dans des Églises très avancées, avec un discours plus élaboré, mais quand on va vers les Églises du réveil, vers les Églises plus évangéliques, les pentecôtistes, où le discours est beaucoup plus brutal, on est dans une situation de manipulations des esprits. Je parle de deux sectes principalement, l’Opus Dei, qui ressort de l’Église, et la scientologie. Ces sectes ont une réelle conception de ce qu’est le contrôle sociétal, mais aussi économique, politique, de l’ensemble de la société. C’est un danger pour la démocratie.
L’organisation de l’enseignement a toujours été un problème important et difficile pour les laïques. Comment voyez-vous la question de l’enseignement à échéance d’une décennie ?
Les responsables politiques se trouvent, dans une Communauté sous-financée, avec une équation non résolue. Si la laïcité n’est pas capable d’impulser un projet, les solutions initiées seront dictées par les contraintes budgétaires. Ces contraintes ne s’embarrasseront pas de savoir si cela protège ou non le bien public et la volonté de garantir un enseignement de qualité pour tous. Qui anticipe ce débat ? Nous en tant que laïques, ou la puissance publique ou les financiers ? Tout le monde nage dans le flou artistique. On va se battre pour le refinancement, et c’est chaque fois la survie. Comment donner la garantie républicaine du droit à l’enseignement de qualité pour tous, et en même temps garantir les valeurs de la laïcité ? Cela me paraît le plus important aujourd’hui. Je ne viens pas avec des solutions toutes faites. Je suis un défenseur de l’enseignement public. C’est essentiel parce qu’il participe d’une vision de société qui n’est pas complètement désuète, ni à disqualifier.
L’enseignement universitaire n’est pas tout à fait l’enseignement obligatoire, mais quel est le bon modèle : l’ULB ou l’université publique ?
Aujourd’hui, avec le processus de Bologne, on assiste à une homogénéisation des modèles universitaires sur le plan européen. Verra-t-on encore une différence entre une université neutre, une université d’État, une université libre ? Je ne sais pas.
Mais on peut tenir à une université libre-exaministe.
Nous avons l’obligation de nous battre pour une université libre-exaministe, c’est une valeur en soi.
Propos recueillis par Patrice Dartevelle et Nicole Nottet
L'ESPRIT LIBRE, Mai 2006