Finances - La loi a été votée jeudi soir à la Chambre

Vote d'une “taxe Tobin” à haute valeur symbolique

La Chambre a voté, jeudi, une proposition de loi " instaurant une taxe sur les opérations de change de devises, de billets de banque et de monnaies ". Le texte, rédigé par le PS, SP.A, CD&V, CDH et Ecolo, a été adopté par 67 voix favorables, 42 défavorables (émanant du VLD et du Blok) et 19 abstentions (MR). Le texte est approuvé après quatre ans de travaux, par cette majorité alternative à la coalition socialiste-libérale au pouvoir.

Le ministre des Finances, Didier Reynders (MR), a qualifié la loi de texte symbolique, ravalée au rang de message. Il juge qu'elle n'a aucune chance d'entrer un jour en vigueur : la loi prévoit qu'une mesure similaire doit être approuvée dans chacun des 12 pays de la zone euro. Seule la France a déjà prévu, fin 2001, une taxation de ce type. Le ministre juge aussi le succès de la taxe incertain si elle n'est pas appliquée au Royaume-Uni, ni dans la zone dollar. C'est un point de départ, a reconnu, le député Dirk Van der Maelen (SP.A). Dans le camp des organisations non gouvernementales présentes dans les tribunes du public, l'heure était en tout cas à la joie après l'adoption en Belgique de cette " taxe Tobin ".

James Tobin n'aimait pourtant pas les casseurs de carreaux, comme il avait qualifié les contestataires de la " mondialisation néo-libérale " en 2001. Economiste américain décédé en 2002, prix Nobel en 1981 pour une " théorie sur le choix des portefeuilles ", Tobin n'appréciait guère que son projet de taxer les transactions de devises à court terme pour contrer la spéculation, se fût transformé en étendard du combat altermondialiste. Je n'ai rien à voir avec ces mouvements de protestation, disait-il en 2001.

Car avant d'être une loi belge, la " taxe Tobin " est devenue l'une des propositions favorites avancées par les militants pour " un autre monde ". Et, singulièrement, par Attac - l'Association pour une taxation des transactions financières et l'aide aux citoyens créée à Paris en 1998, qui a propulsé le nom de l'économiste au-delà du cercle académique.

Les " alters ", frappés par les ravages sociaux des crises financières qui ont ruiné plusieurs pays émergents durant les années nonante, remettent alors la proposition au goût du jour. Ils modernisent le projet pour l'adapter à l'explosion de la circulation des capitaux. Mais les ONG imaginent aussi d'affecter cet " impôt mondial de solidarité " à un fonds d'aide au développement des pays du Sud. Depuis, l'idée d'une taxe internationale sur certaines transactions internationales pour financer l'aide aux pays pauvres fait son chemin - au dernier G8, le mois dernier, le président Chirac a plaidé en faveur d'un tel impôt.

James Tobin, dans une tribune publiée le… 11 septembre 2001, soulignait pour sa part que l'on dévoyait son projet. Il visait avant tout à diminuer le volume des opérations de spéculation en les taxant, et pas à constituer une manne financière pour le développement… Libéral keynésien, favorable au libre échange, au FMI ou à l'OMC, il ne reniait pas son idée, trente ans après sa formulation en 1971. Même s'il ne croyait plus à sa réalisation, en raison de l'opposition des décideurs sur la scène internationale, Etats-Unis en tête.

Pour les partisans de la " taxe Tobin ", le projet est devenu l'emblème - symbolique et pédagogique, dit-on chez Attac - d'une volonté de redistribution plus équitable des richesses à l'échelle de la planète. Elle est aussi censée signer la victoire de la puissance publique sur les marchés financiers, de l'intérêt général sur l'intérêt privé. Et contribuer à un embryon de gouvernance mondiale, de régulation d'un capitalisme débridé parfois sauvage.·


REPÈRES

Principe. La taxe Tobin s'inspire des travaux de l'économiste américain James Tobin (Prix Nobel en 1981). Il s'agit d'une taxe appliquée sur les flux financiers internationaux, visant à décourager les attaques des spéculateurs contre une devise. Mais l'idée des auteurs de la loi est surtout d'affecter cette somme prioritairement au développement des pays les plus pauvres.

Chronologie . En Belgique, une proposition de loi a été déposée en 2002 au Sénat et à la Chambre, puis redéposée en 2003. Le texte a été voté en Commission des Finances de la Chambre le 15 juin.

Proposition. Le texte belge vise donc à instaurer une version modernisée de la taxe Tobin (dite " Spahn ", du nom de l'économiste allemand Paul Bernd Spahn) sur les opérations de change. Une ponction de 0,01 ou 0,02 % serait opérée sur les transactions de plus de 10.000 euros. Mais cette taxe s'élèverait à 80 % lorsque le taux de change varierait trop fort. Selon certaines études, ce type de taxe pourrait rapporter jusqu'à 50 milliards de dollars par an.

Condition. La taxe belge est toutefois soumise à une condition suspensive : elle ne sera appliquée que si une loi similaire est adoptée dans les autres Etats de la zone euro.

Critiques. Dans les milieux financiers, on doute de l'efficacité d'une telle taxe. Elle pourrait même, selon certains, renchérir l'accès aux capitaux pour les pays en voie de développement. Les tenants de la taxe répondent que celle-ci vise d'abord les " spéculateurs ". Ses opposants rétorquent que ces derniers disposent d'instruments qui leur permettraient de soustraire leurs opérations à la taxe.

PHILIPPE REGNIER

© Rossel & Cie S.A. - Le Soir, Bruxelles, 2 juillet 2004

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